La couverture du dernier roman de Bernardo Carvalho représente un bimoteur au lever du jour ou au crépuscule survolant une masse à contrejour qui pourrait être une représentation de la forêt amazonienne.
Dans cet avion, un père et son fils de 11 ans. Tout au long du roman, il s’agira du père et du fils. Pas de prénom, pas d’affectif. C’est pareil pour tous les personnages du roman qui sont caractérisés par leur fonction : le directeur du théâtre, le banquier véreux, le médecin, l’Indien, le militaire.
Le père se livre à des transactions obscures en lien avec les militaires et in fine avec la dictature brésilienne. Dans cet avion, le fils lit un livre de science-fiction, où, après la fin de notre planète, un groupe d’humains explore l’espace. la lecture de cet ouvrage.
Le roman est aussi traversé par la vie de l’enfant 30 ans plus tard. de fait le temps est découpé et les souvenirs et la réalité s’entremêlent.
Et nous sommes un peu perdus, dans un flou comme le père et le fils au milieu des nuages et de la brume amazonienne.
On ressent que c’est un roman ambitieux voulant traiter du Brésil du 20ᵉ siècle et des relations inversées entre père et fils.
Malheureusement je n’ai pas adhéré au style de Bernardo Carvalho, et j’ai eu beaucoup de mal à suivre et comprendre l’entremêlement des situations.
Beaucoup de louanges, trop peut-être, trop sûrement.
À la suite de cette lecture, je ne souscris pas au meilleur premier roman depuis longtemps, qui serait éblouissant, incontournable, original, tendre et déchirant.
L’idée de départ est intéressante. Faire que le changement de prénom change notre vie.
Cora, mariée à Gordon, médecin, a une fille de 9 ans, Maia, et Cora donne naissance à un petit garçon. Elle doit aller à l’état civil pour déclarer le prénom de ce petit garçon. Gordon souhaite que son fils s’appelle Gordon comme lui et son grand-père.
Cora qui vit sous la coupe violente de son mari voudrait pouvoir donner un autre prénom à son enfant.
À partir de là, l’autrice va développer trois scénarios.
Premier scénario : Cora donne le prénom Bear à son enfant, prénom que propose sa soeur Maia.
Deuxième scénario : Cora donne le prénom Julian, un prénom qui veut dire « ciel et père » et qui devrait ne pas trop déplaire au père.
Troisième scénario : Cora suit la demande du père et appelle son fils Gordon.
Florence Knapp va construire son roman autour de ces trois scénarios avec des étapes tous les sept ans, le tout jusqu’aux 35 ans de l’enfant.
À chaque fois un chapitre sur Bear, Julian, Gordon et de nouveau le même procédé sept ans après.
Le même procédé de 4 3 2 1 de Paul Auster, mais de façon plus laborieuse. Je n’ai trouvé aucune empathie et tendresse dans la lecture, plutôt un style informatif, qui analyse les situations qu’a mises en place l’autrice.
Chaque scénario semble créatif mais en définitive reste très classique et les sauts de sept ans permettent des raccourcis et des facilités. Pourtant le sujet de la violence conjugale vue par les yeux du même enfant avec trois profils psychologiques était original tout comme la recherche d’identité.
Il faut toujours se méfier d’une couverture dithyrambique.
Florence Knapp a déjà écrit un ouvrage documentaire sur une méthode séculaire de fabrication de courtepointes et a contribué à un ouvrage pour le Victoria and Albert Museum, intitulé Patchwork & Quilting. Elle vit près de Londres avec son mari et leur chienne, Nell. Leurs deux enfants ont maintenant quitté le nid. « The Names » est le premier roman de Knapp et sera traduit en plus de vingt langues. ( traduit de Penguin Random)
Depuis 2022 nous étions orphelins d’Aurel Timescu, notre consul préféré. de 2018 à 2022, Jean-Christophe Rufin, une fois par an, nous racontait les extravagances de ce consul atypique. Et depuis trois ans le silence. Peut-être que le changement d’éditeur (Calmann-Levy Noir suite à Flammarion) a dû prendre du temps !
En tout cas, Aurel Timescu est de retour pour de nouvelles aventures et celle-ci nous entraine dans les Balkans, en Albanie.
L’Albanie, ancien pays communiste, longtemps fermé au monde et qui depuis une guerre civile dans les années 1990 s’est ouvert au monde plus capitaliste.
Marc Lumière vient d’être assassiné sur les pentes du col des Montets vers Chamonix. le problème, c’est qu’il est mort trente ans plus tôt en Albanie.
Évidemment, Aurel, le consul va s’emparer de ce mystère avec l’aide d’Amélie, l’ambassadrice en Albanie. Amélie, qu’il avait connue à Bakou lors d’une précédente aventure, « Le flambeur de la Caspienne ».
Bien que l’Albanie soit devenue un pays pro-occidental, les traditions sont toujours présentes et celles-ci se transmettent de générations en générations telles des strates qui fossilisent.
L’une de ces traditions reste la vendetta et son cahier des charges : le Kanun.
C’est à cette vendetta d’un autre temps que sera confronté Aurel.
C’est avec plaisir que l’on lit le Revenant d’Albanie. L’écriture de Jean-Christophe Rufin est toujours agréable, déliée. On sent qu’il prend plaisir à nous raconter les péripéties du consul Aurel et à nous faire découvrir un pays et ses secrets.
La Folie Océan est un roman qui allie documentation et côté polar. Comme le titre du roman le sous entend, celui-ci parle d’ocean et de tout ce qui s’y rapporte. le mot ‘océan’ n’est pas tout à fait juste car nous sommes sur les côtes de la Manche, sur la Côte de Granit Rose.
Quentin, jeune trentenaire, est plongeur et aussi membre de l’équipe de la Reserve Nationale Naturelle des Sept Îles. Il a une fibre écologique et milite au sein de l’association Atlantis contre les chalutiers industriels qui accaparent les ressources maritimes. Un militantisme engagé et pouvant avoir recours à la violence.
Quentin a donné des cours de plongée à Maya, la quarantenaire, biologiste spécialiste du plancton. Elle vit avec Bruno, la soixantaine, qui travaille dans le meme laboratoire que Maya. Ils habitent Paris.
La relation entre Maya et Quentin va devenir amoureuse et Maya va assumer une vie amoureuse avec deux hommes et l’assentiment de ceux-ci.
Lors de l’un de ces séjours en Bretagne, Maya trouve que Quentin est fébrile.Il faut dire qu’il vient de recevoir des menaces de mort.
La lecture documentaire et scientifique du roman oscillera entre la découverte du monde océanique et la connaissance sur le plancton, les diatomées, les cocolithophores et les balanes, mais aussi les fous de Bassan, les macareux et les phoques gris.
Le côté polaire nous entraînera auprès de Nereos, un ensemble d’armateurs pour la pêche industrielle, et de Frankiz, une association militant contre l’extension de la Réserve des Sept Îles.
Ajouter à cela des copains d’enfance qui ne jouent plus dans la même cour et vous avez tous les ingrédients d’un bon polar documentaire.
Vincent Message maîtrise parfaitement le documentaire et le polar et nous plonge dans la réalité d’aujourd’hui autour des enjeux écologiques et industriels en nous rappelant la force de l’océan et son importance vitale.
Un très bon moment de lecture rehaussé par le fait que cette lecture s’est faite sur les lieux mêmes de la Folie Océan et qu’il paraissait envisageable de rencontrer Maya ou Quentin au détour du GR 34 sur l’Ile Grande, à Loquemeau.
Vincent Message est un écrivain français né en 1983 à Paris.
C’est avec un plaisir mille fois renouvelé que l’on se plonge dans le nouveau roman d’Elif Shafak Les fleuves du ciel.
Elif Shafak nous avait laissé il y a trois ans entre Londres et Chypre auprès d’un figuier déraciné et replanté à Londres.
Pour ce nouveau roman, Londres est toujours présent et plus particulièrement la Tamise.
À 180 ans d’écart vivent deux des personnages importants du roman. D’abord Arthur, qui naît dans la pauvreté sur les bords nauséabonds de la Tamise en 1850. Puis, près de deux siècles plus tard en 2018, Zaleekhah, hydrologue fascinée par la mémoire de l’eau, emménage dans une péniche afin de fuir la faillite de son mariage.
Arthur, baptisé Rois des égouts et des taudis, est engagé dans une imprimerie où il découvre le livre L’épopée de Gilgamesh, un récit épique de la Mésopotamie et l’une des oeuvres les plus anciennes de l’humanité. Cette oeuvre a été écrite en caractères cunéiformes sur des tablettes d’argile. En 1850, de nombreuses tablettes restent un mystère pour la traduction. L’écriture cunéiforme représentant des syllabes et non une lettre.
Zaleekhah en 2018 a comme propriétaire de sa pénicheune jeune femme Nen qui est tatoueuse et qui ne tatoue que des motifs cunéiformes rappelant la Mésopotamie, Ninive et son fleuve le Tigre.
Au bord de ce fleuve, en 2014, vit une famille yézidie autour de Grand-Mama et de sa petite-fille Naryn, 9 ans. Celle-ci doit être baptisée et cette famille décide de rejoindre la vallée sacrée de Lalesh.
Chacun des personnages, Arthur, Zaleekha, Naryn vaudrait à lui seul un roman. Elis Shafak se fait conteuse pour entrelacer ces trois histoires et les relier au cours imprévisible de l’eau.
La goutte d’eau, les fleuves, une mémoire de l’humanité.
Elif Shafak s’appuie sur une documentation nourrie mais qui laisse la place au roman.
À travers ce voyage incessant entre 1850 et 2018, entre la Tamise et le Tigre, Elif Shafak nous rappelle les affres du dérèglement climatique, du pillage des vestiges historiques, de la cruauté faite aux Yézidis, mais aussi la grandeur humaine de certains dans le partage, l’empathie.
M. Bradbury, Grand-mama, Leila, Nene sont des êtres de bienveillance, de culture, de spiritualité qui révéleront à eux-mêmes Arthur, Naryn et Zaleekha.
Un roman magistral auquel il faut joindre les derniers mots des remerciements d’Elif Shafak : « On dit qu’un romancier ne doit pas tomber amoureux de son sujet, mais même si j’admire les dons intellectuels et apprécie le domaine des idées, je ne crois pas qu’on puisse écrire un roman avec son seul esprit rationnel. le coeur doit s’y mettre aussi et une fois que le coeur y est, allez savoir où il vous entraînera.
Ce roman est le lieu où m’a entraîné mon coeur.
Ce roman est mon chant d’amour aux fleuves : ceux qui vivent encore et ceux qui ont disparu depuis longtemps. »
Elif Şafak, ou Elif Shafak (nom de plume d’Elif Bilgin), née le 25 octobre 1971 à Strasbourg, est une écrivaineturque. Elle vit et travaille à Londres.
Primée et best-seller en Turquie, Elif Şafak écrit ses romans aussi bien en turc qu’en anglais. Elle mêle dans ses romans les traditions romanesques occidentale et orientale, donnant naissance à une œuvre à la fois « locale » et universelle. Féministe engagée, cosmopolite, humaniste et imprégnée par le soufisme et la culture ottomane, Elif Şafak s’attaque dans ses écrits à toute forme de bigoterie et de xénophobie.
Dans l’enragé Sorj Chalandon racontait l’histoire d’un jeune garçon envoyé au bagne pour enfants de Belle-Île-en-Mer dans les années 30, suite à quelques larçins. laissé pour compte par sa famille, l’enragé allait se construire au soleil de la violence, de l’injustice mais aussi de la fraternité et de la solidarité.
Cette fois-ci, Sorj Chalandon se dévoile encore plus, en nous livrant un roman autobiographique. Il nous prévient néanmoins : « J’y ai changé des patronymes, quelques faits, parfois bousculé une temporalité trop personnelle, pour en faire un roman. La vérité vraie, protégée par une fiction appropriée. »
Nous avions déjà approché la vérité vraie dans Profession du père. Un roman où Sorj Chalandon nous parlait de la mythomanie de son père mais aussi de sa violence et de ses penchants politiques extrêmement droitiers. Avec le Livre de Kells, le père devient l’Autre. Pas un brin d’affection. Que le rejet de l’Autre. le Minotaure, le raciste, l’antisémite.
À 17 ans, Sorj Chalandon s’enfuit de Lyon et de la cellule familiale pour éviter d’être dévoré par l’Autre. Il prend le nom de Kells, en référence à un Évangéliaire irlandais du 9ᵉ siècle. Ayant obtenu son émancipation, il part sur les routes de la Camargue à Paris. Un objectif en tête : rejoindre Ibiza, puis Katmandou. Nous sommes en 1970.
Il n’en sera rien de ces rêves post-hippies et Flower Power. Ce sera la rue et sa dureté pendant un an à Paris. L’envie de revenir à Lyon et l’orgueil qui dit non.
Et puis au bout d’un an, la rencontre de Marc, métallo-ajusteur, militant maoïïste, vendeur à la criée du journal La Cause du peuple. Kells se met à vendre aussi La Cause du Peuple et découvre une solidarité et une famille de rechange.
Il découvre aussi la lutte politique, engagée, violente au sein de la Gauche Prolétarienne. Il découvre aussi la culture, la lecture et un peu d’humanité.
C’est ce parcours que nous raconte Sorj Chalandon sans en oublier les vicissitudes, les renoncements, les petites victoires et les grands doutes.
La plume de Sorj Chalandon est toujours merveilleuse, pétrie d’humanité, de proximité, d’humilité. Kells, le garçon de la rue, s’est intégré dans une époque politique violente dans laquelle il a été confronté à la mort de Pierre Overnay, militant et ouvrier chez Renault, assassiné par un nervi du patronat. Il a aussi été confronté aux ratonnades, à l’explosion de l’immigration, au terrorisme de Septembre Noir. Une jeunesse de révolte et de prise de conscience. Prise de conscience politique et sociale. Que faire de la lutte armée ? est-ce une fin en soi.
Le Livre de Kells est un roman labyrinthe qui nous remet face à notre jeunesse, nos engagements, nos doutes, nos valeurs. Comment faire perdurer nos engagements avec le temps. Comment les transformer sans les trahir.
Kells est devenu Sorj Chalandon, journaliste-reporter-écrivain.
Kells enfant des rues, luttant pour sa survie souvent par la violence, a réussi à se réconcilier avec l’humanité.
Cette humanité qui est la vertu cardinale de Sorj Chalandon.
Sorj Chalandon naît le 16 mai 1952 à Tunis. Son prénom de naissance est Georges ; il fait plus tard des démarches pour le modifier à l’état-civil en Sorj, qui correspond à la manière dont l’appelait sa grand-mère.
Son enfance est marquée par la violence et la mythomanie de son père, qu’il décrit dans son roman Profession du père. Il souffre alors de bégaiement, ce qui lui inspire son premier roman, Le Petit Bonzi.
Bien que la majorité soit alors à 21 ans, il obtient son émancipation à 17 ans et quitte sa famille
En 1973, il entre par la petite porte au quotidien Libération, au moment de sa création, et y restera journaliste salarié jusqu’en février 2007. Alors infirmier dans un hôpital psychiatrique, Sorj Chalandon y est tout d’abord monteur, puis a couvert, en 1974, en tant que dessinateur de presse, le premier procès de Pierre Goldman, qui devient son ami fidèle et le rejoint en 1976 à la rédaction de Libération.
Devenu rapidement grand reporter, Sorj Chalandon est en 1982 le premier journaliste occidental, selon Libération, à rendre compte du massacre de Hama, en Syrie, sous pseudonyme. En 1986, il témoigne du succès populaire du chanteur Jean-Jacques Goldman. Egalement chroniqueur judiciaire, puis rédacteur en chef adjoint de ce quotidien, il est l’auteur de reportages sur l’Irlande du Nord et sur le procès de Klaus Barbie qui lui ont valu le prix Albert-Londres en 1988
En août 2009, Sorj Chalandon est embauché comme journaliste au Canard enchaîné, en charge de la rubrique « La Boîte aux images » et critique de cinéma.
Son odeur après la pluie avait été un coup de coeur émotionnel et c’est non sans appréhension que je me lançais dans la lecture de Où les étoiles tombent de Cédric Sapin Defour. Appréhension car le livre semblait être de la même veine (même filon) que Son odeur après la pluie. Dans le premier livre, la perte du chien Ubac et sa vie retracée. Dans le deuxième livre, l’accident très grave de sa femme Mathilde et l’épreuve retracée. La justesse du propos de Cédric Sapin Defour et la vérité de celui-ci éteignent dès les premières pages cette appréhension. Le vendredi 12 août 2022, Cédric et Mathilde s’adonnent au parapente dans une vallée italienne à Bolzano. Chacun a décollé à quelques secondes d’écart. Les rotations ont commencé afin de monter dans les thermiques. Les regards se trouvent au détour d’une rotation et puis Cédric perd de vue la voile de Mathilde. Elle gît au sol dans les rochers. Cédric se pose en catastrophe et court vers le lieu de l’accident. A-t-elle survécu et que faire ? Le récit découpé en scènes de l’accident et en scènes d’hospitalisation est rythmé par les J des jours passés et des jours présents. C’est le roman vrai d’un couple face à l’accident, la mort, la séparation ; la perte, le handicap. Ce roman vrai nous est raconté et ressenti par Cédric. L’urgence est là, les inquiétudes s’installent. L’écriture et le style sont simples, sans fioritures. le coeur parle humblement et humainement. Où les étoiles tombent est un hymne à l’amour, à la fidélité, à l’engagement et à l’attachement. D’une histoire qui aurait pu être voyeurisme, il en fait une réflexion universelle. Dans une interview à Ouest-France, Cédric Sapin-Defour dit : « Le degré émotionnel de ce que j’ai vécu était tellement fort que ces moments ont convoqué tout ce que j’avais construit, toutes mes expériences. Je crois très fort à la bienveillance, à la sensibilité des êtres, même si chaque jour me démontre le contraire. Pourtant, quand tu es dans le dur, il y a des personnes, des anonymes, qui sont là. le plus grand mal que causent les cyniques, c’est de nous rendre hésitants dans notre capacité à exprimer notre contentement, notre reconnaissance, notre gratitude. » C’est ce que j’ai ressenti profondément en suivant la reconstruction de Mathilde et Cédric Cette justesse, cette bienveillance font un bien fou malgré le drame vécu.
Né à Saint-André-des-Vergers, dans l’Aube, en 1975, Cédric Sapin-Defour ne fait qu’y passer, suivant ses parents enseignants d’éducation physique et sportive au gré de leurs mutations professionnelles. C’est de grand air dont son frère aîné et lui sont baignés toute leur enfance, avec un goût familial prononcé pour les activités de pleine nature. Dans le Nord ensuite, la maison est une auberge espagnole réunissant joyeusement tous les autres profs de gym exilés de l’intérieur. De cela, l’intéressé conserve le sentiment d’être de nulle part et les plaisirs d’une vie en bande, avec les week-ends et les vacances consacrés au sport.
Au hasard de la visite familiale de hauts lieux naturels, Cédric Sapin-Defour découvre un jour, il a alors 8 ans, Chamonix et l’aiguille du Midi. C’est un choc esthétique. Ce jour-là, précisément, il est entré en alpinisme, observant ce qu’il considérait être des astronautes allant vers des jeux et des territoires inconnus mais dont il pressentait qu’ils mêlaient tous les bonheurs de la vie, l’engagement, la beauté et la camaraderie. La montagne ne le quittera plus. Loin d’elle, il en découvre le récit et cette vertu magique du mouvement immobile, de l’élan. Le goût des mots et de la littérature d’exploration, aussi, s’installent pour toujours. Les mutations vont répondre à cette aspiration : la famille s’installe à Oyonnax en 1986, à proximité des Alpes.
Dans l’Ain, Cédric Sapin-Defour poursuit une scolarité acceptable sans être flamboyante, le nez à la fenêtre. Après s’être égaré trop longtemps dans un cursus de médecine, il en revient à ses premières amours en devenant enseignant d’EPS, tradition familiale oblige. Temps libre et autonomie financière le poussent vers les montagnes où se confirme cette dépendance à la cinétique du corps et de l’esprit. Escalade, alpinisme, ski de randonnée? C’est en pratiquant curieux et généraliste qu’il entreprend de découvrir l’univers vertical avec une préférence pour la douceur et les vertiges du ski. Envisageant un temps de devenir guide de haute montagne, il se ravise pour se recentrer sur une pratique alpine personnelle à laquelle il consacre l’essentiel de son temps et de son énergie. Il trouve, très tôt dans son cursus vertical, un autre moyen d’emmener les autres en montagne. C’est en leur rapportant des récits de là-haut, ses émerveillements, ses interrogations, des parallèles sans cesse tissés entre la montagne et la vie. Son intention est d’inviter le plus grand nombre à goûter aux joies et aux frissons des sommets. Il peste contre l’iniquité du monde et l’impossibilité pour beaucoup de connaître les bonheurs de cette rencontre tellurique.
Cédric Sapin-Defour pratique intensément les activités de montagne, avec son épouse Mathilde, elle aussi professeur d’éducation physique, comme compagnon de cordée et de vie : leur camp de base est, depuis 2005, établi à Arêches dans le Beaufortain, avec moult bouviers bernois et labradors autour d’eux. Et c’est à Beaufort que le professeur d’EPS enseigne, intimement persuadé que les nouvelles générations ne sont pas devenues subitement insensibles aux choses du mouvement et au goût des autres.
Cédric Sapin-Defour écrit, beaucoup. Articles et chroniques dans journaux et des revues (Libération, Montagnes Magazine, « Ça pic » et « Prises de tête » dans Alpes Magazine, Sport et vie, Les Others), essais et livres, notamment pour Guérin/éditions Paulsen. La montagne est là, toujours, décor ou personnage, mais comme pour mieux préciser l’existence, ses pics et ses creux, comme pour mieux comprendre les hommes, leurs forces et leurs fêlures. Au-delà de la montagne, ce sont les grands espaces qui l’attirent, ces lieux nous rappelant à notre petitesse mais nous autorisant à y grandir, ces territoires où la nature résiste et nous enseigne les directions. De plus en plus, ses écrits s’écartent de la seule verticalité pour l’audacieuse idée d’embrasser le monde.
Cédric Sapin-Defour et son épouse ont un projet de voyage au long cours, itinérance de massifs en massifs, de grands espaces en grands espaces pour témoigner des beautés fragiles de notre monde et l’urgence de changer nos modes de vie. Départ imminent, l’œil ouvert et le carnet dans la poche? ( Biographie de Transboréal)
Ce roman est la chronique de quatre décennies d’une existence simple et banale. Cette existence est racontée par ellipses, par touches. Comme un photographe ou un graphiste. Comme dit en quatrième de couverture, on pourrait imaginer cette vie taguée ou graffée sur les murs de nos villes.
Pour représenter en écriture ces ellipses et grafs, Christophe Carrées a imaginé des chapitres avec des flashs d’écriture autour d’un mot, d’une phrase.
Les chapitres nous rappellent la banalité et les difficultés de l’existence : vestiges – vétilles – rebuts – rognures – salissures – ruines – reliques.
Un roman du gris, qui se lit comme un manifeste.
Mais pour moi c’est aussi la limite de cette écriture et de son pouvoir. À vouloir être grinçant, le propos peut devenir excessif et devenir une plainte.
Cheistophe Carrées les appelle mes histoires.
Il continue en écrivant : « L’univers les appellerait mes mensonges. Pourtant ces fables ne sont les causes de rien qui m’advient. Elles sont les conséquences du tout qui m’entoure, la vie des autres, leurs silences, leurs secrets, leurs saccages. »
La conséquence est produite nécessairement par quelque chose qui en est la suite logique. Il est dommage que l’auteur suive cette logique. Il me semble que les poussières ont une grande liberté pour se déposer ou pour se cacher dans les coins les plus obscurs. Et puis à contre du jour du soleil, elles volètent, lumineuses.
La Mystification indienne est le nouveau récit, essai de Jean-Claude Perrier. Jean-Claude Perrier est un écrivain journaliste aux prix multiples et passionné par l’Inde. La mystification indienne est l’histoire d’une imposture. Celle d’Octave Mirbeau. Nous sommes en 1885. Octave Mirbeau, jeune journaliste et futur écrivain, s’embarque pour l’Inde. « Rien n’est curieux comme une ville de l’Inde, ensommeillée, aux premières heures crépusculaires du jour. » Lettres d’Inde – Octave Mirbeau. Les Lettres d’Inde, écrites dans deux journaux, regorgent de descriptions venant du Sri Lanka, de Pondichéry, du Tamil Nadu ou encore de l’Himalaya et du Sikkim. On y est : les odeurs, les senteurs, la foule, les couleurs, le bruit, la colonisation. Et pourtant tout est inventé. Octave Mirbeau n’a jamais quitté la France. la peinture avait le Douanier Rousseau qui a peint la jungle depuis le Jardin des Plantes. La littérature aura Octave Mirbeau. Remarquez, on est à la même époque. Jean-Claude Perrier s’est mis dans les pas de son prédécesseur et a fait le voyage en Inde afin de démêler le vrai du faux. Entre pérégrinations et réflexions, Jean-Claude Perrier nous parle de l’époque d’Octave Mirbeau, fervent dreyfusard, et du monde du journalisme. Mais il nous rappelle que les affabulations sont souvent proches de la réalité. Et ce que retranscrit Octave Mirbeau raconte l’hindouisme, le bouddhisme, la colonisation anglaise, les comptoirs français avec beaucoup de véracité. On reste ébahi devant le talent de reporter d’Octave Mirbeau pour nous entretenir de la culture, et de la richesse d’une civilisation millénaire. J’ai eu la chance de voyager au Sri Lanka, en Inde du Sud, au Népal et en Birmanie. J’ai retrouvé dans le voyage imaginaire d’Octave Mirbeau et le récit de Jean-Claude Perrier l’essence de ces différents pays, leurs particularités mais aussi le creuset de l’hindouisme et du bouddhisme. Et la gentillesse de ces peuples. Si vous connaissez le sous-continent indien, laissez-vous porter. Si vous ne connaissez pas, alors partez sur les traces d’Octave Mirbeau. C’est un excellent guide !
Je remercie les Éditions du Cerf pour l’envoi de ce livre.
Trois enterrements est un récit à plusieurs voix, tragique et sans illusion sur le monde et la brutalité des politiques migratoires.
Sept exilés ou migrants veulent quitter les côtes françaises pour rejoindre l’Angleterre. Parmi ces migrants, il y a Omar, jeune homme de 18 ans, sportif qui veut rejoindre Asha en Angleterre. Asha, 17 ans, son amoureuse. Il garde précieusement sa photo dans son blouson.
Avec Omar et Asha, le roman donne voix à Andy Jakubialk, policier enrôlé dans une milice raciste menée par Baratt et Cherry, infirmière qui, après une nuit de garde, est confrontée à la dépouille d’un jeune homme sur une plage anglaise.
Par des chapitres alternés entre chacun de ses personnages, Anders Lustgarten d’une écriture précise, tendue, trouve une justesse remarquable dans la brutalité quotidienne, la loyauté ou le refus d’agir. L’auteur dans les remerciements nous dit qu’il écrit vite. Cela se ressent. Il y a une urgence dans l’écriture, entre classicisme et oralité. Il y a aussi la volonté de dire les préoccupations sociales et les prises de conscience politique à venir.
La dernière phrase du roman nous ramène à la situation initiale : « Ils s’élancent dans l’avenir. »
Le roman nous détaille cet avenir ou ces avenirs selon les personnages. Et l’on peut imaginer que tous les jours des jeunes migrants s’élancent dans l’avenir, tout comme ceux qui les aident, ceux qui les refusent, ceux qui les aiment, ceux qui les politisent. Ils s’élancent dans l’avenir qui est le nôtre. Cet avenir est-il l’un des trois enterrements ? Poser la question vaut réponse.
Livre lu dans le cadre du jury du Livre 2025 de la librairie Au bord du jour à Voiron-Isère.
Anders Lustgarten est un dramaturge britannique résidant à Londres.
C’est en 2007 qu’il se tourne vers l’écriture dramatique ; ses premières pièces sont produites au Finborough Theatre.
Il a notamment remporté le Harold Pinter Playwrights Award, commandé par la Royal Court, en 2011.
Il travaille actuellement sur deux séries radiophoniques pour BBC Radio Four et sur un pilote d’émission de télévision pour Channel Four.
Parallèlement à son activité d’écrivain, Lustgarten milite politiquement à travers le monde, se concentrant sur les actions des multinationales dans les pays en développement.