Le Sillon de Valérie Manteau. Editions Le Tripode 💛💛💛

 

Le sillon par Manteau

 

 

Quel livre déroutant ! La fiction rejoignant la réalité.  Et pour dérouter encore plus , le style de Valérie Manteau enfonce le clou. Des phrases sans ponctuation, des personnages en veux tu en voilà,  des noms turcs,kurdes,arméniens et puis le dédale d’Istanbul,ces quartiers européens ou asiatiques, la traversée quotidienne du Bosphore ou de la Mer de Marmara.
Je me suis perdu dans ce livre qui paraît foutraque, mal maîtrisé .
J’ai pensé laisser tomber.
De prime abord je n’ai pas compris que le sillon est reçu le Prix Renaudot.
Et puis je suis allé au bout de cette plongée dans Istanbul et dans la Turquie d’aujourd’hui.
Tout cela à infusé.
Et en définitive le suis tombé sous le charme du Sillon de Valérie Manteau.
Ce livre est à l’image de ses villes arabes avec leurs souks, leur médina .
on a du mal à  s’orienter,à comprendre le cheminement de ruelles , on est submergé par les odeurs , la langue arabe.
On ressort de ces villes tout bizarre, sans tout comprendre ce que l’on a vécu
Et pourtant le temps passant, il reste une nostalgie de ses médinas, de ces ambiances. Peut être  un besoin impérieux d’y retourner pour retrouver cette ambiance.
Le  sillon m’a laissé la même impression. le livre est complexe, déroutant comme l’époque ou il est écrit et comme la situation de la Turquie.
Et puis l’auteure narratrice est ,elle aussi, déroutée, interrogative, à  la recherche d’une compréhension de cette Turquie du 21ème siècle.
Ce pays aux confins de l’Europe et de l’Asie, au prise avec une dictature rampante.
Qu’en est il des peuples qui ont peuplé ces territoires: Arméniens, Kurdes, Syriens, Turcs.
La Turquie se ferme, se rabougrit, exile ses contestataires,  les emprisonnent ou les tuent.
C’est cela que nous raconte le sillon en prenant comme figure de proue Hrant Dink journaliste arménien assassiné en 2007 devant son journal Agos ( le sillon en arménien )
Hrant Dink était un homme de pays défendant aussi bien les Arméniens que les Kurdes
C’est dans ses pas que va marcher Valérie Manteau alors que la France est marqué par l’attentat de Nice et la Turquie par la tentative de coup d’État de juillet 2016.
Elle va rencontrer Asli Erdogan, écrivaine qui dénonce le régime autoritaire turc et prend position en faveur des kurdes. Ce qui lui vaudra 6 mois de prison et sous la pression internationale, une libération.
Mais Asli Erdogan comme beaucoup d’autres prendra le chemin de l’exil
Après la lecture de le Sillon il est salutaire de lire ou relire Le silence même n’est plus à toi d’Asli Erdogan ,recueil de ses chroniques dans le journal pro kurde Ozgur Gundem
Cela resitue le livre de Valérie Manteau et la profondeur de celui ci.

L’Arbre Monde de Richard Powers. Cherche Midi 💛💛💛💛

L'Arbre-Monde par Powers

Il est difficile de résumer le dernier livre de Richard Powers : L’arbre monde.
C’est un hymne , une symphonie en l’honneur de l’arbre.
Je reprends volontiers ce que dit l’un des personnages de ce roman :
 » Vous et l’arbre de votre jardin êtes issus d’un ancêtre commun.Il y a un milliard et demi d’années, vos chemins ont divergé. Mais aujourd’hui encore,après un immense voyage dans des directions séparées, vous partagez avec cet arbre le quart de vos gênes  »
Pour nous emmener dans son roman , Richard Powers va découper celui-ci en 4 parties bien distinctes : Racines – Tronc- Cîmes et Graines.
Ce découpage peut paraître « simplet » quand on parle des arbres.
Au contraire il représente bien la réalité de notre monde végétal et de notre monde humain et que ces deux mondes sont liés inextricablement.
Dans la partie Racines, Richard Powers va nous présenter ces différents personnages. Ils sont au nombre de 9.Ils vivent aux Etats unis.
Pour chacun un chapitre sous forme de nouvelle. La nouvelle se suffit à elle même
Chaque personnage est évoqué à travers ses rapports à l’arbre et au monde végétal.
Parmi ces personnages ,le descendant d’une famille norvégienne qui planta le premier châtaignier dans l’iowa, un ancien du Vietnam qui replante à tour de bras , un geek devenu infirme suite à une chute d’un arbre , une scientifique mis au ban de sa communauté car elle a osé proférer que les arbres parlent , une étudiante à la libido exacerbée dont des voix l’incitent à rejoindre une forêt primaire de séquoias. enfin un psychologue et un spécialiste de la propriété intellectuelle.
Ces personnages représentent les racines de l’histoire que va nous raconter Richard Powers.
Avant 1492 le territoire de l’Amérique était recouvert de quatre grandes forêts primaires. Celle-ci aujourd’hui ne représente plus que 2% du territoire.
Cette forêt primaire se trouve maintenant à l’Ouest des Etats Unis en Californie et dans l’Oregon. Elle est composée d’immense séquoias et de tout leurs éco-système.
Cette forêt primaire est en grand danger du fait de l’industrialisation, du réchauffement climatique.
et c’est autour de ces grands arbres que vont venir de façon intermittente ou continue les 9 protagonistes de cette histoire.
Ils vont faire TRONC pour rassembler ces racines.
Un tronc qui peut être pacifique mais qui est souvent violent et militant.
Selon leur vie , leur état d’esprit ces neufs protagonistes vont irriguer ce tronc. Des fois positivement , mais aussi négativement.
Les combats contre la loi , la désobéissance civile ne sont pas toujours suivis d’issues heureuses.
Et du Tronc ils vont pouvoir pour certains atteindre la cime et grainer.
Quelles graines vont ils pouvoir faire naître. Des graines d’optimisme ou juste des graines pour maintenir un statu quo.
Ce livre de Richard Powers est dense et mérite une attention de tous les instants.
le voyage est long ,parfois ardu mais il nous permet de changer notre regard sur les arbres et notre relation à la nature.
il est temps de prendre conscience que nous ne sommes pas seuls et que sans être des humains il y a des créatures pensantes.
Ce roman ne parle que de relier . A travers les racines pour les arbres , à travers la nature pour les hommes.
Comme l’a dit Richard Powers dans une interview : » Mon livre pose cette question : à quoi ressemblerait la vie si nous posions un regard sur le monde naturel ».
Voila qui est remarquablement fait.
On ressort de ce livre transformé , ouvert au questionnement.
Pour reprendre Richard Powers : »Un livre n’est pas fait pour confirmer ce que nous savons ou ce que nous croyons »
Le pari est réussi.

L’Arbre monde de Richard Powers. 531 pages

 

Ailefroide Altitude 3 954 de Rochette. Casterman 💛💛💛💛

Ailefroide : Altitude 3 954 par Rochette

Quelle belle autobiographie graphique !
Dans une première vie Jean Marc Rochette a été un grimpeur , un alpiniste émérite. Jusqu’à l’âge de 20 ans Jean Marc Rochette avait une passion exclusive : la montagne – la grimpe dans le Massif de l’Oisans au Sud de Grenoble et avait une obsession : atteindre le sommet d’Ailefroide à l’altitude de 3 954m.
Jean Marc Rochette a un autre talent : le dessin, la peinture , le pastel et l’aquarelle.
C’est à travers ce talent qu’il va se réaliser et être connu auprès des aficionados de la BD.
Sa BD Transperceneige est une référence , tout comme ses collaborations avec Martin Veyron.
Et dans cette BD Ailefroide Altitude 3 954 Jean marc Rochette allie ses talents d’alpiniste et de dessinateur.
En 284 pages de cette autobiographie graphique, Jean Marc Rochette nous retrace sa jeunesse à Grenoble et dans le Massif de l’Oisans.
L’atmosphère de Grenoble est plutôt grise tout comme la vie de Jean Marc Rochette. La mère de Jean Marc emmène régulièrement son fils au Musée de Grenoble. Celui ci est subjugué par une toile de Soutine: le boeuf écorché.
Mais ce qui le subjugue c’est la montagne et la grimpe.
Il va tout faire pour se défaire de la gangue du Lycée Champollion et partir grimper avec son copain Philippe Sempé. D’abord quelques falaises autour de Grenoble à Fontaine et puis rapidement l’Oisans avec un périple en mobylette.
Une adolescence entre lycée et montagne , toujours en insouciance. Insouciance qui ne convient pas toujours à la montagne.
A travers des dessins où domine le bleu du ciel et le noir des rochers et des falaises Jean Marc Rochette va nous conter les amitiés , les cordées , la beauté des montagnes mais aussi nous parler des anciens , de ces alpinistes qui ont ouvert les voies.
Et puis il nous parle avec émotion de tous ces ces sommets de l’Oisans , de la Bérarde, du Pré de Madame Carle des refuges au nom mythique : Temple – Promontoire – Aigle.
Il nous rappelle que la montagne est surtout une histoire d’hommes , de cordée , d’amitié ,de souffrance.
Et alors le lien s’installe ente la peinture de Soutine « le boeuf écorché  » et ces corps qui peuvent être abîmés par la montagne.
Et puis son autobiographie graphique devient recherche : être guide , devenir dessinateur. Que recherche t-il au milieu de ses sommets de l’Oisans.
Le bleu et le noir des dessins se font de plus en plus profond.
Le danger de la montagne , la perte des êtres se font prégnants.
Habitant la région de Grenoble et étant de la génération de Jean Marc Rochette , on ne peut qu’être touché par cette histoire.
J’ y retrouve les accents de la jeunesse estudiantine de Grenoble , piolets ou skis toujours à portée de sac à dos.
J’y retrouve la beauté des sommets de l’Oisans , ce massif éloigné de tout.
J’y retrouve l’insouciance des années 1970 et une grande liberté .
Beau et grand récit initiatique.

Ailefroide. altitude 3 954 de Jean Marc Rochette. 284 pages.

Maîtres et esclaves de Paul Greveillac. Gallimard 💛💛💛

Maîtres et esclaves par Greveillac

J’ai entendu parler de Maîtres et esclaves de Paul Greveillac à l’occasion des listes pour le Goncourt.
De plus le sujet traité, la Chine des années 50 à 80, m’intéressait diablement.
Je ne suis pas déçu de m’être lancer dans la lecture de ce roman.
Il s’agit d’une fresque de la Chine qui correspond bien au sujet du roman
Ce roman embrasse la vie politique chinoise par la propagande et la peinture officielle du régime.
Ces peintures sont souvent immenses, très réalistes et littéraires pour représenter le pouvoir.
Le livre de Paul Greveillac est à l’image de ces peintures : réaliste , historique, photographique, un peu convenu.
Peu d’émotion émane de ces fresques comme du roman Maîtres et Esclaves. C’est un constat.
A partir du personnage de Kewei, fils de paysan du Sichuan au pied de l’Himalaya, Paul Greveillac va nous raconter la transformation politique de la Chine depuis les gardes rouges, Mao, la révolution culturelle mais aussi la collectivisation des terres ,la délation ,l’enfermement ou encore la répression et la rééducation.
Kewei à des dons pour le dessin, la peinture.
C’est à partir de ce don que Paul Greveillac va construire l’histoire de Kewei et son ascension sociale et politique.
Du Sichuan aux Beaux arts à Pékin, Kewei va développer son art et côtoyer le pouvoir chinois.
Devenu membre du parti communiste, il deviendra peintre du régime.
Cette ascension sera longue,douloureuse et sera rattraper par l’histoire.
Cette fresque sur 30 ans nous permets de vivre les grands soubresauts de l’empire du Milieu.
Maîtres et esclaves est plus qu’ un bon roman historique .
Sa description du peuple du Sichuan, de Pékin est remarquable. Tout comme la description des arcanes du pouvoir et des maîtres de la Chine.
Son parti pris de resserrer le roman autour de Kewei et de ces 3 femmes (mère femme et amante ) permet de mieux comprendre la condition feminine.
Mais au final il manque d’une flamme qui vous emporte.