Le sel de tous les oublis. Yasmina Khadra. Julliard. 💛💛💛

Le Sel de tous les oublis par Khadra

Le sel de tous les oublis est un roman déroutant tel que sait les écrire Yasmina Khadra.
de quel oubli parle-t-on ?
Est ce l’oubli des autres ou est ce l’oubli de soi ?
 » Si tout le monde te déçoit sache
qu’il y en a d’autres dans la vie
sèche la mer et marche
sur le sel de tous les oublis « 
 » de quelle mer parles-tu vieillard ?
de celle de tes larmes « 
Adem est un instituteur dans les années 1950/1960 en Algérie aux confins de l’indépendance de son pays.
Sa femme Dalal vient de lui annoncer qu’elle le quittait.
Adem quitte tout aussi. Son école, ses élèves et tel un Don Quichotte il part pour l’errance.
Errance qui rime avec ivresse, pauvreté mais aussi rencontres.
Errance qui séchera l’âme et qui fera apparaitre le sel de tous les oublis.
A travers le portrait d’Adem, Yasmina Khadra nous parle de l ‘Algérie des années 50. Une Algérie vivant par le colonialisme et dans la tradition de ses peuplades berbères ou Kabyle.
Quand Adem « est plaqué » par sa femme on ne peut s’empêcher de faire le lien avec l’ Algérie qui va plaquer son colonisateur.
Ce colonisateur qui s’en va et qui laisse le sel de tous ses oublis.
Ce sel qui deviendra rapidement un pouvoir militaire dictatorial. On passe d’un extrême moyenâgeux aux affres du pouvoir unique.
En écho à ce monde politique obtus , Yasmina Khadra nous livre un livre où les femmes savent prendre leurs libertés.
De façon très différente Dalal et Hadda sont des femmes libres qui regardent droit devant.
Ce n’est pas obligatoirement le cas d’Adem, poursuivis par ces démons et son égoïsme. Pourtant sur son chemin d’errance, de nombreux personnages vont s’offrir à lui pour méditer sur la possession, la rupture.
Des personnages à la marge de la société ( nain – fous ) qui le laisseront dans ces interrogations .
Don Quichotte est toujours en quête , tout comme Adem ou encore l’Algérie. Pourtant les femmes….
Déroutant

Le bruit des avions de Sophie Reungeot. Harper Collins. 💛💛

Le bruit des avions par Reungeot

Le bruit des avions de Sophie Reungeot est un premier roman contemporain se déroulant entre 2015 et 2017.
Le 13 Novembre 2015 , Audrey est au Bataclan lors de l’attentat. Elle arrive à sortir saine et sauve et se précipite dans un taxi où se trouve Laura.
Audrey et Laura sont deux trentenaires bien en phase avec leur époque.
Audrey , originaire d’une famille de Nevers, est montée à Paris pour faire des études d’architecte d’intérieur. Elle travaille et subit Mika , prêtresse de l’architecture de luxe et des nuits parisiennes.
Laura , elle, est joueuse de poker professionnelle. Addict aux tables de poker et au poker on line.
Ce pitch posé, on se dit que le roman va tourner autour de la reconstruction après un attentat, ou encore autour de la relation entre Audrey et Laura.
Et c’est là qu’est la déception.
Cette reconstruction dans un monde post attentat aurait pu être le sujet principal du roman.
Malheureusement ce n’est pas le cas. S’ajoute des relations mère- fille , des mélanges d’histoire entre des binômes : Audrey /Laura – Christine/Betty – Nicole/Josiane .
Le tout noyé dans une profusion de termes anglais pour parler du poker et une bande son anglo saxonne ne se donnant pas la peine d’un minimum de traduction. Tout le monde n’est pas au top en anglais et les paroles de David Bowie ou Kate Bush auraient méritées une traduction.
En définitive , une déception avec une 1ère partie longue de 100 pages avant la rencontre d’Audrey et Laura.
Je m’attendais à un développement psychologique plus important sachant qu’un personnage avait subi un attentat et qu’un autre est addict au poker.
Ce manque de développement psychologique entr’autre fait qu’il est difficile d’adhérer aux personnages de Laura et Audrey.
On reste spectateur de ce Road trip. Il ne fait que passer.

Sophie Reungeot est une rescapée de l’attentat du Bataclan.

Comme un empire dans un empire d’Alice Zeniter. Flammarion .💛💛💛💛

Comme un empire dans un empire par Zeniter

Le roman d’Alice Zeniter nous plonge dans notre monde actuel.  Totalement contemporain.
Totalement d’aujourd’hui.  C’est un pari ardu que d’écrire sur la réalité de son époque sans recul possible.
C’est ce qu’a fait Alice Zeniter avec son roman Comme un empire dans un empire.
Deux personnages principaux comme le pile ou face d’une pièce.
Il y a l’. Elle est hackeuse.
Il y a Antoine, assistant parlementaire d’un député socialiste.
Deux façons diamétralement opposées de mener un engagement politique et social.
Comment être dans l’action, et saisir le réel de son époque  ?
Le fait de prendre part à  la société induit il un engagement dans des lieux de pouvoir ou peut il être un engagement auprès de communautés ou dans les arcanes du Web.
Ces deux personnages, issus de la classe moyenne et de la méritocratie , veulent être de ceux qui peuvent quelque chose. Antoine le fera par la politique . l’le fera par l’intérieur du Web..
A partir de là Alice Zeniter va nous raconter l’ histoire de ces 2 personnages,  de leur rencontre,  d’une éventuelle rencontre amoureuse.
Mais cette histoire n’est pas le sujet du roman
Le sujet du roman est l’actualité,  les mouvements sociaux ( Nuit debout – #me too ou encore les gilets jaunes) le dedans et le dehors d’Internet.
Alice Zeniter ne prend pas position et nous livre ces personnages à distance.
A nous de nous faire notre opinion.
Cela peut manquer de chaleur et de tendresse envers l’et Antoine.
Ne sont ils pas des rouages pour nous dire notre engagement dans notre monde actuel.
Oui nous vivons dans un empire connecté,  médiatique, ultra rapide  . Mais dans cet empire ne pouvons nous pas créer notre propre empire, avoir notre propre engagement ?
Les règles changent, le monde politique peut sembler obsolète et désolant. Cela empêche t il de trouver d’autres modes d’action ou de revisiter l’engagement politique  ?
On peut être militant du dehors ou du dedans.
Alice Zeniter connaît bien cette génération militante  . Elle en fait partie.
Tout est décrit avec finesse ,exactitude au prix d’une belle documentation.
Alice Zeniter nous incite à aller voir le monde d’un peu plus près.
Et ça vaut le coup.

Le Télégramme - Livres - Prix Goncourt. L'ancre briochine d'Alice Zeniter

Alice Zeniter, née d’un père d’origine algérienne (kabyle) et d’une mère française4,5, a grandi à Champfleur, dans la Sarthe, jusqu’à ses 17 ans2, et a suivi une partie de son parcours scolaire à Alençon2, dans l’Orne.

Alice Zeniter a publié son premier roman en 2003, Deux moins un égal zéro, aux Éditions du Petit Véhicule, à 16 ans6.

De 2006 à 2011, elle est élève à l’École normale supérieure, rue d’Ulm7.

Son second roman, Jusque dans nos bras, publié en 2010, chez Albin Michel, est traduit en anglais sous le titre Take This Man.

Elle enseigne également le français en Hongrie, où elle vit plusieurs années. Elle y est assistante-stagiaire à la mise en scène dans la compagnie théâtrale Krétakör du metteur en scène Arpad Schilling8. Puis elle collabore à plusieurs mises en scène de la compagnie théâtrale Pandora, et travaille en 2013 comme dramaturge pour la compagnie Kobal’t9.

En 2013, elle est chargée d’enseignement à l’université Sorbonne Nouvelle. Cette même année, elle crée sa propre compagnie, L’Entente Cordiale et met en scène plusieurs spectacles, notamment des pièces jeune public et des lectures musicales de ses propres textes10,11.

Elle collabore à l’écriture du long métrage Fever, une adaptation du roman éponyme de Leslie Kaplan, réalisé par Raphaël Neal et sorti en 2015.

L’Art de perdre, publié en 2017, a reçu de nombreux prix littéraires, dont le Prix Goncourt des lycéens. Le livre retrace le destin d’une famille originaire d’Algérie française dont l’aïeul a quitté l’Algérie en 1962, considéré comme harki par les Algériens et Algérien par les Français.

Héritage de Miguel Bonnefoy. Payot et Rivages.💛💛💛💛💛

Héritage par Bonnefoy

Quel plaisir de lecture que le dernier livre de Miguel Bonnefoy  » Héritage  » .
Comme dans Sucre Noir Miguel Bonnefoy nous entraîne dans les pas de son histoire et de ses exils.  Sucre Noir nous parlait du monde caribéen. Héritage, lui, nous entraîne sur un siècle de la France au Chili. France et Chili qui seront des terres de vie et d’exil.
Sous la trace de ce roman se peint en filigrane les éxils et immigration de la famille de Miguel Bonnefoy.
En 200 pages d’une rare finesse, d’une écriture ciselée,  poétique  mais aussi pouvant être enlevée et rugueuse, Miguel Bonnefoy nous convie à  une fresque éblouissante auprès de personnages romanesques, engagés et tellement humain.
Personnages liées par les liens familiaux au delà  de l’ Atlantique.
Tout commence avec un jurassien bon teint, viticulteur de son état.  Nous sommes dans les années qui suivent la guerre de 1870.
Le philoxera à déjà détruit les vignobles bordelais et du Sud de la France.
Le vignoble du Jura est lui aussi touché.  Notre viticulteur à tout perdu sauf un pied de vigne et un peu de cette terre à l’odeur de noix et de morilles.
Avec 30 francs et ce pied de vigne en poche, il prend le bateau au Havre pour rejoindre la Californie et la Napa Valley.  le canal de Panama n’existant pas , le passage par le Canal de Magellan et le sud austral est une nécessité.  Dans ces parages désolés la fièvre typhoïde se déclara,  le toucha et obligea le bateau à faire escale à Valparaiso.
Notre viticulteur de Lons le Saunier décida en définitive de rester à  Valparaiso au Chili.
Les arcanes de l’immigration fit qu’on lui donna le nom de Lonsonnier.
Il rencontra Delphine Morizet, bordelaise émigrée au Chili.
De  leur rencontre naquit Lazare.
Lazare Lonsonnier…… je pourrai continuer à vous présenter la famille Lonsonnier mais il n’y en a aucune utilité.
A vous de vous laisser porter par le souffle, la poésie et la magie de cet Héritage.
D’événements extraordinaires en événements quotidiens Miguel Bonnefoy tisse une histoire familiale sur le 20eme siècle.
Les oiseaux, les odeurs, les agrumes ajouteront des moments oniriques à ce 20ème siècle barré de deux guerres mondiales.
Bien qu’ancré dans la réalité, Miguel Bonnefoy nous entraîne dans l’ imaginaire de cette famille et de sa force et de son souffle épris de liberté. .
Je terminerai en reprenant  les phrases en exergue du livre.
« Ceux qui ne peuvent se rappeler leur passé  sont condamnés à le répéter « 
Et le passé  de Miguel Bonnefoy est un bel héritage.

Miguel Bonnefoy - Sucre noir - YouTube
Né en France, Miguel Bonnefoy grandit au Venezuela et au Portugal.
En 2009, il remporte le grand prix de la nouvelle de la Sorbonne Nouvelle avec La Maison et le Voleur. Il publie en italien Quand on enferma le labyrinthe dans le Minotaure en 2009, et en français Naufrages en 2011, sélectionné pour le prix de l’inaperçu 2012.
En 2013, il est lauréat du prix du jeune écrivain avec Icare et autres nouvelles.
Le Voyage d’Octavio son premier roman, publié en 2015, est finaliste du prix Goncourt du premier roman.
En 2016, il remporte avec Jungle le prix des lycéens et apprentis d’Île-de-France.
En 2017, Sucre noir est finaliste du prix Femina.
En 2018-2019, il est pensionnaire à la Villa Médicis.

Héritage, de Miguel Bonnefoy, paru le 19 août 2020 aux éditions Rivages (207 pages)

Extrait : « Quand Ilario Da lui demandait où se trouvait ce pays de merveilles, Aukan pointait la bibliothèque derrière lui et s’exclamait avec un mouvement exalté :
– Ce pays est dans les livres.
Ce fut lui qui alphabétisa l’enfant, d’abord en mapuche, car il s’agissait selon lui de la première grammaire, puis en espagnol, le jour où il constata que sa vivacité d’esprit pouvait contenir aisément une langue ancienne et une autre récente. Ilario Da put rapidement tracer des lettres sans trembler, à l’aide d’une plume d’oie vierge et d’un encrier d’ivoire, avec une déférence religieuse. Quand il eut fini d’écrire son premier mot, il le lut à voix haute, avec un geste déclamatoire : 
Revolución. Il se cloîtra dans sa chambre pour le reproduire en grand, sur plusieurs feuilles différentes, tachant à l’encre noire tous les tapis, remplissant des cahiers de ces dix lettres prophétiques qui n’avait pas encore à ses yeux le triomphe qu’elles auraient bientôt. Ces pages, aux caractères maladroits et gigantesques, furent conservés par Margot dans un petit carton rouge qu’elle rangea à l’étage de la fabrique, sur une étagère de la chapelle de Lazare, jusqu’à ce que vingt ans plus tard la dictature les tirât de l’oubli. »

Sémaphore en mer d’Iroise de Claire Fourier. Locus Solus. 💛💛💛

Sémaphore en mer d'Iroise par Fourier

En 100 chapitres plus ou moins courts Claire Fourier nous emmène sur les Terres du Finistère  et l’écume de la Mer d’Iroise  qui sont son ancrage originel.
Elle est de Ploudal – on ne dit pas Ploudalmézeau – dans le Nord Finistère  à  quelques encablures de la Mer d’Iroise, de l’Aber Benoît,  de Portsall  et surtout du rocher de Saint Samson.
 » le coeur de mon Finistère est un rocher- un éperon pyramidal qui s’avance dans la Mer d’Iroise,  en bordure de la route qui longe la mer sur la Côte des Légendes,  entre Porspoder et Trémazan, dans la commune de Landunvez. Et le coeur du coeur, un nid de pie ; je veux dire : un léger creux dans le granit, au sommet du rocher. »
 » Tout ce que je suis vient du rocher de Saint Samson »
Pour Claire Fourier ce rocher fut un tremplin mental vers la mélancolie :
 » le granit et le duvet d’écume m’ont appris à  aimer chez les êtres  la netteté de l’intellect et la brume du coeur « 
C’est aussi  » un paysage spirituel « .  » Là-haut,  on est très haut ; Dieu ne regarde pas sa création de plus haut »
Sur ce rocher Claire Fourier est devenue une cimmérienne  : femme du rivage, les pieds sur terre, le regard en mer.
C’est en pensant être dans ce nid de pie qu’il faut lire les 100 chapitres du livre.
Le mot chapitre ne convient pas totalement.
Il s’agit plutôt au gré de la plume de Claire Fourier,  de lettres, de moments de poésie,  de contes , de souvenirs, de petites nouvelles.
Bien ancré dans le granit et le regard portant loin, elle nous distille les moments de sa vie entre la Mémé Anna, la sagesse même,  maître du temps, reine des fleurs,de la maison et sa mère  Dolorosa rétive aux émotions.
Cette Mémé Anna, tel le sémaphore en Mer d’Iroise illumine ce livre.
Et puis comme nous sommes ancré dans le Finistère,  à quelques encablures de Brest, le militaire n’est jamais loin. le pompon rouge de Joseph le père nous rappellera que ce Nord Bretagne est marqué par le fait militaire : les côtes bretonnes ne peuvent être dissociées du Mur de l’Atlantique , tout comme une vie de marin, d’une vie de bourlingueur.
Dans une écriture classique et ciselée, Claire Fourier va nous dire cette vie faite de bons moments naturels et de moment de séparation,  des souvenirs de l’enfance sur ces terres de bruyère et d’ajoncs.
…. Et l’écriture va nous entraîner sur des chemins plus difficiles,  plus caillouteux.
A de nombreuses reprises nous serons confrontés au Capitaine Achab, à  Moby Dick, à la baleine blanche.
Nous seront confrontés à  Mallarmé, Rilke, Melville et tout un cortège d’écrivain, de peintres, de musiciens.
La lecture se fait plus ardue.
Cela n’est pas grave.  La lecture des chapitres n’a pas pour obligation d’être linéaire.
Il faudra prendre le temps de se remémorer Moby Dick ou les Préludes de Debussy.
Le temps ?
Le personnage central.
Claire Fourier est obnubilée par le temps.
Peut on le perdre ? Doit on le perdre ?
Ces reflexions sont des moments de lecture jubilatoire.
 » Un temps pour tout et articuler le temps, voilà ce qui est vivre »
 » Il faut perdre son temps que lorsqu’on est sûr d’en gagner »
 » Connais-toi toi- même  ; autrement dit : Connais le temps en toi « 
Et si il est question de temps,  il est question de vie, de mort,
Cette mort qui est au centre de la vie des Celtes.
Enfin ce livre est un hymne à l’écriture, aux moments d’écriture
 » La vie m’est dérive
Écrire en fait une rive
Penchée sur hier « 
 » le rideau est comme l’écriture  : le voile qui dévoile,  l’art du tamis »
Cet ouvrage à l’art du tamis. Les divers haïkus qui jalonnent le livre le confirme.
Les chapitres méritent d’être lus et relus.
Ce n’est pas toujours facile. Cela peut être ingrat parfois.
Mais la Terre du Finistère et la Mer d’Iroise sont elles faciles ?
Le granit est rugueux et la Mer d’Iroise est rarement calme.
Alors laissons le Sémaphore de la Mer d’Iroise nous illuminer de ces clairs-obscurs

Claire Fourier — Wikipédia
Claire Fourier est née le 15 juin 1944 à Ploudalmézeau, dans le département du Finistère en France1.
Elle fait des études secondaires à Brest puis supérieures à Rennes où elle obtient une maîtrise d’histoire1. Plus tard, elle est diplômée de l’École nationale supérieure de bibliothécaires située Villeurbanne près de Lyon2. Elle est professeure de lettres et bibliothécaire mais les mutations de son mari ne lui permettent pas d’exercer elle-même une activité stable. Elle se consacre alors à l’écriture3 et publie ses premiers récits en 19961.
Elle a emprunté son nom de plume à Charles Fourier pour l’amour de l’utopiste, de sa fantaisie et de sa théorie de l' »attraction passionnée »4.