Frère d’âme est la longue mélopée d’Alfa Ndiaye, tirailleur sénégalais, au cœur de la Grande guerre et des tranchées. A ses côtés Il y a Mademba Diop, son plus que frère, que la guerre va lui enlever.
Pendant 170 pages, David Diop va nous psalmodier cette mélopée.
Tel un griot , David Diop va laissé infuser en nous cette histoire.
En reprenant régulièrement les mêmes expressions, la répétition des mots David Diop nous emmène loin dans l’âme et les corps. Cette âme et ces corps martyrisés par la guerre.
» Par la vérité de Dieu, Mademba Diop, mon plus que frère,avait le droit de me dire tout ce qu’il voulait, de se moquer de moi, parce que la parenté à plaisanterie le lui permettait »
Quelle belle invention que la parenté à plaisanterie pour nommer ce qu’écrit Cheikh Amadou Kane en préambule du roman : » Je suis deux voix simultanées. L’une s’éloigne et l’autre croît. »
A travers ce frère d’âme, ce plus que frère et cette parenté à plaisanterie, nous traversons la guerre de tranchées, la mort, l’absurdité de la guerre et la bêtise des hommes.
Mais dans cette absurdité, reste les sentiments les plus nobles résidant au plus profond de l’âme.
Ces sentiments les plus nobles que nous conte David Diop quand il fait revivre Penndo ,la mère d’Alfa Ndiaye ou encore Bassirou Coumba son père.
Un proverbe peul dit : Tant que l’homme n’est pas mort, il n’a pas fini d’être créé.
C’est la psalmodie de ce livre.
Alfa Ndiaye et son plus que frère Mademba se sont cédés mutuellement une place dans leurs corps
« Par la vérité de Dieu, je te jure qu’à l’instant où je nous pense, désormais lui est moi et moi suis lui «
Archives mensuelles : avril 2019
Le cartographe des Indes boréales d’Olivier Truc. Metaillé💛💛💛💛
La cartographie, les portulans et leur belle iconographie que l’on retrouve sur la couverture du livre d’Olivier Truc le cartographe des Indes Boréales.
Nous sommes au 17ème siècle.
Je reprends les termes d’Olivier en avant propos:
» le récit se déroule entre 1628 et 1693. Jusqu’ici tout est vrai.
Le livre démarre en Suède, traverse l’Europe du Portugal au Svalbard, en passant par le Pays Basque et les Provinces Unies des Pays Bas. Jusqu’ici tout est encore vrai.
J’ai découvert l’existence d’Izko Detcheverry en réalisant des recherches pour mon premier roman. A ce point il devient déjà difficile de dénouer le vrai du vraisemblable »
C’est tout l’art d’Olivier Truc de nous conter une histoire encadrer dans L Histoire, la vraie.
Izko est un jeune basque de 13 ans quand s’ouvre le roman. Il est à Stockholm en Suède. le bateau de son père Paskoal, y mouille de retour du Svalbard et de la pêche à la baleine. Izko est harponneur.
Lors de se mouillage à Stockholm, Izko va être témoin du naufrage du plus grand bateau qu est construit la Suède : le Vasa.
Mais surtout il assiste à la mort d’un homme et la fuite d’une femme qui donne naissance à un enfant.
Voilà le point de départ d’un grand récit d’aventure qui parcourt toute la façade Atlantique de Sagres au Portugal en passant par Saint Jean de Luz, Amsterdam, Stockholm ou encore le Svalbard.
Cette façade Atlantique sur laquelle veille, la France, le Portugal , la Suède et les Pays Bas.
Cette façade Atlantique au prise avec les guerres de religion. La France catholique qui poursuit les protestants et les Pays scandinaves qui se divisent entre protestants calvinistes ou luthériens.
Et puis tout au Nord de la Suède, la Laponie , enjeu religieux afin que le peuple devienne chrétien et abandonne ses chamans, ses dieux et déesses et aussi ses tambours.
C’est dans ce maelstrom que va vivre Izko, tantôt espion pour la France, tantôt prisonnier.
Par contre il sera tout le temps cartographe. Soit un personnage recherché car il sait , il connaît les lieux, il connaît les ancrages, les fjords, les montagnes.
Et Izko sera aussi un défenseur ardent de la cause des lapons, de leurs traditions.
Le cartographe des Indes Boréales est un roman de vent , d’océan, d’embruns, de froid, de neige, de glace, de chants, de prières.
C’est un roman de violence, d’inquisition, de saleté de puanteur.
C’est ausi un roman d’hommes et de femmes confrontés à la sorcellerie, à la prémonition, à la trahison mais aussi à la droiture et à l’élévation de l’âme.
C’est enfin un roman qui nous parle de l’inanité des religions quand elles sont prosélytes et colonisent les esprits des Lapons.
Izko est le miroir de cette époque, tout à la fois droit mais aussi obtus et parfois ambigu.
Rien n’est noir – Rien n’est blanc et pourtant nous sommes dans ces terres lapones où le soleil de minuit donne à voir une atmosphère crépusculaire.
Une belle découverte.
Histoire d’un Vignoble : Limoux de Turetti et Chaluleau. Editions Loubatières.💛💛💛💛
Histoire d’un vignoble LIMOUX est un opuscule de 140 pages qui retrace l’histoire et l’évolution du vignoble de Limoux situé dans l’Aude à 20 kms de Carcassonne .
Le vignoble de Limoux est connu pour sa blanquette , vin pétillant.
Ce livre fait la part belle à cette blanquette mais n’oublie pas les vins blancs tranquilles ni les vins rouges.
Ce livre , malgré son érudition, reste agréable à lire et permet de découvrir ce vignoble et son évolution.
Qui sait que la Blanquette de Limoux était le vin préféré de Thomas Jefferson troisième président des Etats Unis.
Ce livre nous rappelle aussi qu’avant d’être décriée la Blanquette de Limoux fut sur toutes les tables de l’aristocratie et de la troisième République.
Ce livre nous apprend aussi ce qu’est la méthode champenoise pour rendre un vin tranquille effervescent.
Enfin quelques vignerons produisent encore la Blanquette de Limoux avec la méthode ancestrale. Seule entre en ligne de compte le sucre contenu dans le cépage mauzac vendangé et les conditions climatiques voire cosmiques.
Le moût fermente à 6 degré d’alcool avant d’être mis en bouteille au mois de mars au moment de la vieille lune, c’est à dire à la lune descendante et le vin prend alors mousse.
Depuis une dizaine d’années des vignerons champenois sont venus s’installer dans le Limouxin pour perpétuer la qualité de cette blanquette de Limoux.
Elle fût dévoyé au milieu du 20ème siécle , car le Languedoc Roussillon était une région vinicole de quantité et plus de qualité.
C’est un temps révolu . L’AOP Limoux ( première appellation historiquement) a retrouvé ces lettres de noblesse.
C’est toute cette histoire que nous raconte Laurence Turetti et Georges Chaluleau.
c’est passionnant car on y retrouve l’évolution de la viticulture mais aussi et surtout l’évolution des moeurs et des réalités sociales.
Et le livre étant fini , je n’ai pu que descendre à la cave chercher une bouteille de Blanquette de Limoux ( car j’en ai )
Une bouteille en méthode ancestrale de Jean Louis Denois « Lune Vieille de Mars ».
Des arômes beurrés et un goût de pomme pour fermer ce livre.
Quoi de mieux !
Sur la route du Danube d’Emmanuel Ruben. Rivages 💛💛💛💛
Sur la route du Danube est un grand récit d’arpentage. Emmanuel Ruben à quatre cordes à son arc.
Il est un géographe doublé d’un écrivain. Comme si cela n’était pas suffisant il est aussi dessinateur et cycliste émérite.
La corde dessinateur ne servira pas le long de cet d’arpentage car Emmanuel Ruben à pris le parti de profiter de cet arpentage de 45 jours et d’être entièrement dans l’instant et le quotidien.
Quel est donc cet d’arpentage ?
Avec un ami russe – ukrainien , Vlad ,ils ont décidé de remonter le Danube à vélo de son delta à sa source.
Soit 2 900 klms depuis Odessa en Ukraine jusqu’à la source du Danube en Allemagne.
Emmanuel Ruben enfant du Rhône et maintenant gardien de la maison Julien Gracq aux bords de Loire, est fasciné par les fleuves.
Voici ce qu’il en dit :
» La vue, même éphémère, même fugace, d’un fleuve aux flots vifs nous apaise ou nous dynamise et redonne sens à nos efforts : comme lui nous savons que nous sommes mortels, mais comme lui nous espérons nous élargir avec l’âge, chaque année nous gagnons en sérénité ; comme lui , nous nous souvenons de notre source sans nous languir pour autant de l’avoir désertée ; comme lui, chaque épreuve nous élargit …..
Le fleuve ne vient pas les bras vides jusqu’ au rivage, il apporte les preuves de son labeur ; il arrive les bras chargés d’allusions, qu’il offre comme un présent au continent qui le retient et comme un défi à la mer qui le délivre ; chaque jour, il repousse son terme et chaque jour le delta s’agrandit.
Ce récit d’arpentage est donc une grande déambulation le long du Danube et à travers 10 pays qui constitue le bassin versant du Danube.
Ce qui fait la force de ce récit c’est l’imbrication de la géographie, de l’histoire, des paysages et des hommes.
Surtout les hommes et les femmes que rencontrent Emmanuel Ruben
Au travers de ces rencontres , on comprend mieux cette Europe Centrale multi ethnique qui nous apporte les parfums du Moyen Orient et de l’Asie
On comprend aussi que ces parfums orientaux ont comme autres noms guerre, migrants , réfugiés et que le Danube est un melting-pot pot humain incroyable et que si ce melting-pot pot existe c’est que les hommes ont divisé ces régions sans tenir compte de l’entité Danube.
Comment un fleuve peut il être une frontière entre trois pays alors que ces rives et ses plaines alluvionnaires font vivre les mêmes groupes d’homme
Cette réflexion nous ramène à l’Europe d’aujourd’hui qui est le calque de l’histoire. Les frontières ou les limes comme le dit Emmanuel Ruben restent les mêmes. On les habille au fil des siècles de nom de pays différents, mais le bassin du Danube reste la porte d’entrée de l’Europe et son creuset.
Que cette région fut le lieu des guerres contre l’empire ottoman, le lieu des guerres de l’ex Yougoslavie ou aujourd’hui avec la Hongrie , la porte d’entrée dans l’espace Schengen.
Comme le dit Emmanuel Ruben nous restons sur le vieux schéma politico économique du Rhin, axe du charbon et de l’acier.
Dorénavant l’axe européen suit les rives du Danube.
Je ne voudrais pas terminer cette chronique sans parler de l’extase géographique. En quelques lignes Emmanuel Ruben nous décrit le mieux qu’il soit le sentiment que je peux ressentir dans un lieu
» Je ressens ce que j’appelle l’extase géographique, qui est ma petite éternité matérielle, éphémère, mon épiphanie des jours ordinaires : oui, l’extase géographique, c’est le bonheur soudain de sortir de soi, de s’ouvrir de tous ses pores, de se sentir traversé par la lumière, d’échapper quelques instants à la dialectique infernale du dehors et du dedans »
Ce récit d’arpentage est tout cela avec une ouverture de toutes ces pores sur ce Danube,fleuve des hommes , de tous les hommes.