Tous les articles par alain deroubaix

Le temps des grêlons d’Olivier Mak-Bouchard. Le Tripode . 💛💛💛💛

Première incursion dans le monde créatif et original d’Olivier Mak-Bouchard.
De l’enfance style guerre des boutons en Provence de la dystopie et un peu de science fiction.
Mais avant cela il faut parler du livre que l’on a entre les mains. Comme souvent avec le Tripode les couvertures de livres sont magnifiques ( pour rappel le paquebot d’Etoiles vagabondes ).
Et il n’y a pas que la couverture ! La deuxième de couverture nous met l’eau à la bouche : des photos sépia avec Arthur Rimbaud , un rappel de Kodak et des caméras Kwanon.
Quand à la troisième de couverture elle détaille le titre des quarante neufs chapitres autour des photons, des grêlons et des frelons.
et puis deux lignes pour dire que l’édition est enrichie d’une note de l’éditeur, d’une postface de l’écrivain d’un achevé d’imprimer de l’auteur.
Surtout lisez tout jusqu’au bout !
Donc je résume , la Provence , un enfant narrateur , Arthur Rimbaud , des photons ,des grêlons, des frelons …. Ainsi font font.
Et oui ainsi font font car on peut croire être entre conte et réalité.
Cet enfant narrateur a un univers étrange fait de candeur , de simplicité voire simplet.
il vit avec Maman, il a copain bègue donc Jean-Jean et un amour secret et impossible Gwendo.
Il boit du Banania et de la soupe Floraline.
Il a un chauffeur de bus : Bateau Ivre
Il avait un papa et un chat qui s’appelait Kodak. Normal le papa avait un magasin de photo!
La photo , voila la dystopie.
Brutalement sur les photos faites par les smartphones, les appareils numériques les humains n’apparaissent plus. Même à la télévision le présentateur du journal du soir est invisible.
et cela ne suffit pas voilà qu’arrive le temps des grêlons. le nuage numérique est saturé et il recrache des grêlons chronologiquement depuis l’invention de la photo. Tous les humains photographiés depuis les Frères Lumière et Daguerre.
Le monde se couvre de grêlons.
Olivier Mak-Bouchard nous emporte avec lui dans ce monde poétique et grave où l’on ressent les dérives de notre monde contemporain.
Et quoi de mieux qu’un regard d’enfant face aux dérèglements. il garde tout son pouvoir d’illumination.
Allez faire un détour par la Provence d’Olivier Mak-Bouchard et n’oubliez pas :
 » Lorsque tu fais une photo, tu la prends deux fois: une fois avec ton appareil, et encore une fois avec tes yeux.Tu cliques, tu clignes. Et puis tu gardera celle qui te semblera la plus réussie « 

Un Général, des Géneraux de Boucq et Juncker. Le Lombard.💛💛💛💛

13 mai 1958, le jour ou de gaulle revint au pouvoir et ou naquit la cinquième République.
Peut on parler de coup d’état ? difficile quand on parle de l’Algérie française. le putsch des généraux en 1961 est plus connu que cette journée du 13 Mai 1958 et pourtant …
Donc en Mai 1958 des généraux fomentent un mauvais coup pour garder l’Algérie française. Ils mettent dans la boucle le général De Gaulle. Mauvaise pioche. Il accepte, et celui-ci donnera par la suite l’indépendance à l’Algérie.
Nicolas Juncker et François Boucq ,potaches dans le dessin et l’écriture , revisitent les événements de mai 1958.
« Une des plus belles arnaques de l’histoire de la politique française », selon les auteurs,.


Et il faut dire que les généraux et les politiques ne ressortent pas grandis de cette aventure politico-militaire.
Nicolas Juncker et François Boucq s’en donnent à coeur joie. Les gueules de ce drame parfois tragi-comique sont merveilleusement croquées par le dessinateur.


L’Histoire revisitée de façon iconoclaste ,mais ô combien intelligente.
Une intelligence de la situation qui en dit bien plus que les manuels scolaires.

Notre otage à Acapulco de Jean-Christophe Rufin. Flammarion. 💛💛💛

Notre otage à Acapulco de Jean-Christophe Rufin est la cinquième aventure du Consul Aurel Timescu.
Après avoir écumé la Guinée, le Mozambique, l’Azerbaïdjan et une principauté d’opérette , le voici au Mexique.
Voilà une destination qui sied mieux à notre cher consul.
Sa virée chez La princesse au petit moi m’avait laissé sur une impression très mitigée.
De passage au Mexique nous retrouvons notre consul tel que nous l’aimons. Toujours décalé vestimentairement, toujours à ne rien faire mais touche à tout tout de même !
Mexique oblige, Aurel laisse tomber le Tokay pour la Téquila et le Margarita. Ce n’est pas un mauvais choix !
Par contre son amour du piano bar ou du piano jazz est toujours là et il va pouvoir nous susurrer quelques roucoulades.
Comme vous devez l’imaginer, j’ai apprécié ce cinquième tome des aventures d’Aurel Timescu.
Jean-Christophe Rufin est revenu aux bases de sa série et cela lui va bien.
Une jeune femme , fille de ministre a disparu au Mexique vers Cancun.
On envoie Aurel au Mexique afin qu’il ne fasse rien . Mais au moins pour la diplomatie française on a pris en compte cette disparition.
Aurel va s’installer à Acapulco.
Acapulco : la baie ,le soleil, James Bond et encore la nostalgie de l’époque des stars d’Hollywood qui faisait vivre la baie
Acapulco 2022 : la drogue , les cartels , la misère , les gangs , la violence, la mort.
C’est dans ce décor qu’Aurel va vivre une rencontre improbable dans sa nostalgie du jazz, du cinéma des années 1950.
C’est dans ce décor qu’Aurel va être confronté à la violence mortifère des cartels mexicains.
Sous couvert du rêve d’Acapulco Jean-Christophe Rufin nous entraîne dans les arcanes d’une réalité mexicaine : un pays complétement gangréné par la violence où la mort est toujours présente , que ce soit par les traditions ou par la brutalité des différents parrains.
Le Tokay est un vin doux qui ne convenait pas . la Téquila est plus raide et a toute sa place ici.
Reste le soleil couchant sur la baie d’Acapulco , une chanson de Sinatra….
La nostalgie a la vie dure.

Toute une expédition de Franzobel. Flammarion. 💛💛

Effectivement c’est Toute une expédition que la lecture du roman de l’ écrivain autrichien Franzobel.
Dans ce récit-roman de 542 pages Franzobel nous raconte une tranche de l’histoire « conquérante » de l’Espagne dans le Nouveau Monde en 1540.
Cette tranche d’histoire met en avant l’expédition de Ferdinand Desoto de la Floride au Mississipi.
Ferdinand Desoto est un conquistador espagnol . Avant cette expédition il a participé aux expéditions de Cortes au Mexique et de Pizzaro au Pérou.
Le récit-roman de Franzobel s’appuie sur l’histoire , une documentation très importante pour nous conter cette expédition picaresque.
Ce coté picaresque voulu par Franzobel rend la lecture de ce roman ardu et interroge sur les moments de récits et de fiction.
Tout au long de la lecture , viens à l’esprit le récit de Don Quichotte.
Cela est encore plus flagrant quand au détour d’une page, Franzobel nous apprend que l’un de ces personnages, Elias Plim, pourrait dans l’avenir être Cervantes… ( sauf que les époques ne correspondent pas )
J’ai trouvé d’autres liens plus contemporains. Ce conquistador espagnol me semble proche d’Aguirre ou encore de Fitscarraldo, les personnages décadents du cinéastes Werner Herzog. Ces personnages lançaient dans des aventures extravagantes et vouéss à l’échec.
Desoto est du même acabit.
Son expédition de 800 personnes , 200 chevaux et de multitude de cochons, chèvres et poules, va rechercher l’Eldorado et le passage Sud des Indes Occidentales vers la Chine.
Cette expédition va aller d’échec en échec , de massacres d’Indiens en Massacres d’Indiens, de maladies en pandémies.
Les indiens , ce peuple premier, que les conquistadors veulent détruire.
A travers son écriture Franzobel fait de son livre une satire morale , provocatrice ,devant tendre à la réhabilitation des amérindiens.
Pour cela l’auteur dédie quelques chapitres autour de la propriété des terres indiennes et fait des allées retours entre 1540 et notre époque.
Malheureusement ces chapitres se diluent dans l’expédition . Au point de réapparaitre de façon très étonnante à la fin du livre.
Je n’ai donc pas trop accroché à cette expédition, ou l’acerbe se mêle au ridicule.
Expédition rocambolesque et interminable dont j’attendais la fin avec impatience
Je reconnais à cette lecture d’avoir découvert un pan de l’histoire des conquistadors et de savoir maintenant que Desoto a découvert le Mississippi et que les chevaux espagnols sont les ancêtres des chevaux Mustang.

Franzobel (pseudonyme pour Franz Stefan Griebl1), né le 1er mars 1967 (55 ans) à VöcklabruckHaute-Autriche, est un écrivain autrichien.

Franzobel, de son vrai nom Franz Stefan Griebl, est l’un des écrivains les plus populaires et controversés d’Autriche.

Il est diplômé en génie mécanique de Höhere Technische Lehranstalt et a étudié la langue et la littérature allemandes de 1986 à 1994 à Vienne.

Pendant ses études il travailla au Burgtheater de Vienne. Depuis 1989 Franzobel se consacre à l’écriture.

Dramaturge, poète et plasticien, il est l’auteur de la pièce « Kafka, comédie » (« Kafka. Eine Komödie », 1997) publiée aux Solitaires intempestifs.

Couronné du prix Nicolas Born 2017, son roman sur le naufrage de La Méduse, « À ce point de folie » (« Das Floß der Medusa », 2017), fut l’un des trois derniers ouvrages en lice pour le Deutscher Buchpreis (Prix du livre allemand) 2017.

Colonne d’Adrien Bosc. Stock. 💛💛💛

Colonne est le troisième tome d’une trilogie commencé avec Constellation et poursuivie avec Capitaine..
La mécanique mise en place par Adrien Bosc est la même pour ces trois tomes.
Un événement historique ou accidentel dans lesquels sont plongés des personnes connues, sportives, militaires ou culturelles.
Constellation nous emmenait aux Açores où s’est écrasé l’avion qui transportait Marcel Cerdan.
Capitaine nous entrainait avec le CapitainePaul-Lemerle en 1941 le long des côtes méditerranéennes avec les réprouvés de Vichy, des juifs, des exilés et des apatrides et des intellectuels. Parmi eux André Breton et Claude Lévi Strauss.
Colonne se situe en 1936 pendant la guerre civile d’Espagne. Nous suivons la colonne Durutti à laquelle s’est jointe Simone Weil.
Simone Weil , philosophe, a passé 45 jours auprès de la colonne Durutti. Blessée , elle du être rapatrié en France.
Adrien Bosc met le focus sur un courrier que Simone Weil a transmis à Georges Bernanos et sur les atrocités quelque soit les victimes , phalangistes, fascistes, anarchistes et républicains.
Je suis resté sur ma faim durant ma lecture , malgré la belle écriture d’Adrien Bosc.
Adrien Bosc, lors de différents interviews a toujours dit que ce qu’il avait intéressé dans le parcours de Simone Weil, c’est le point de bascule qu’elle a connu durant ces 45 jours dans une communauté de destin.
Ce point de bascule prenant comme origine qu’une guerre n’est pas juste et que chacun renie des idéaux pour laisser place à une violence intolérable .
C’est le choix d’Adrien Bosc que de partir de ce point de bascule.
Pourtant quand Simone Weil en 1937 va à Assise elle est bouleversée et se rapproche du christianisme. Elle dira : , j’ai soudain la certitude que le christianisme est par excellence la religion des esclaves .
Ces esclaves qu’elle rencontrait et défendait au plus prés du monde ouvrier , ou au plus prés de cette colonne Durutti , colonne internationale.
J’aurais aimé qu’Adrien Bosc mette en perspective ces deux visions qu’avaient Simone Weil :.
: « le malheur des autres est entré dans ma chair et dans mon âme »
Simone Weil.

Né d’un père architecte, Adrien Bosc a cinq frères et sœurs1. Son frère aîné, David Bosc, est romancier et éditeur. Après un baccalauréat littéraire au lycée Mistral d’Avignon, il suit une classe préparatoire aux grandes écoles au lycée Condorcet à Paris mais échoue au concours de l’École normale supérieure2. Il rejoint l’université de la Sorbonne où il obtient un master de lettres1.
« Jeune homme pressé »3, il est embauché par Philippe Tesson à la revue L’Avant-scène. En 2011, il crée les Éditions du sous-sol, avec l’appui de Pierre BergéVictor RobertGérard Berréby et Olivier Diaz. Il y crée deux revues, Feuilleton et Desports, et revend la société aux Éditions du Seuil3. En 2016, il est nommé directeur adjoint de l’édition des éditions du Seuil4. En 2018, il est nommé directeur général des Éditions Points5

Regardez nous danser de Leila Slimani. Gallimard. 💛💛💛

Regardez nous danser est le deuxième volet de la trilogie le pays des autres.
Dans cette trilogie Leila Slimani nous raconte la saga de la famille Belhadj. Dans le premier tome intitulé la guerre nous faisions la connaissance d’Amine, jeune marocain envoyé en France et en Alsace pendant la Seconde guerre mondiale. .Il rencontra Mathilde et celle ci le suivit au Maroc où ils fondèrent une famille et une entreprise agricole.
Nous retrouvons cette famille avec ces enfants , Aicha et Selim en 1968.
Amine a fait de son domaine une entreprise florissante. Amine appartient à la nouvelle bourgeoisie dominante , proche de la royauté.
Aicha a fait ses études de médecine à Strasbourg et vit sa vie entre ses deux cultures.
Lors de la chronique du premier tome j’avait écrit ceci :
J’ai ressenti dans ce roman comme une volonté de la part de Leila Slimani de ne pas prendre parti et de mettre tout le monde dos à dos afin de ne froisser personne et permettre la mise en place ce cette saga familiale.
Tout est ébauché mais sans véritable profondeur.
Pourtant que de thèmes porteurs ! La place de la femme dans la société marocaine, la marche vers l’indépendance, la construction d’un couple mixte, le lien au colonisateur.
J’espérais , les personnages installés, que le deuxième tome approfondirait les différents thèmes.
Malheureusement, j’ai le même ressenti que lors de la lecture du premier tome. Beaucoup de thèmes abordés comme si il fallait cocher les cases : la royauté, le pouvoir, la corruption, les attentats etc…
Bien évidemment ces évènements ont fait le Maroc et les Marocains.
Mais je trouve que Leila Slimani n’approfondi pas ces événements à la lumière de ces personnages.
Par contre Leila Slimani nous montre des femmes magnifiques , combattantes, libres et sensuelles.
Ces femmes qui me feront lire la fin de cette trilogie ou plutôt saga

Leïla Slimani, née le 3 octobre 1981 à Rabat au Maroc, est une journaliste et femme de lettres franco-marocaine. Son père est banquier et haut fonctionnaire marocain, secrétaire d’État chargé des Affaires économiques de 1977 à 1979. Sa mère est médecin ORL et a été la première femme médecin à intégrer une spécialité médicale au Maroc.
Après son baccalauréat, obtenu au lycée français Descartes à Rabat en 1999, elle vient à Paris en classes préparatoires littéraires au lycée Fénelon. Elle sort ensuite diplômée de l’Institut d’études politiques de Paris. Elle s’essaye un temps à la comédie (Cours Florent) puis choisit de poursuivre ses études à l’ESCP Europe pour se former aux médias. De 2008 à 2012, elle est engagée au magazine Jeune Afrique avant de se consacrer à l’écriture littéraire mais continue des piges pour le journal.

Un ennemi du peuple de Javi Rey. Editions Dupuis. 💛💛💛💛

Au départ Un ennemi du peuple est une pièce de théâtre écrite en 1883 par Henrik Ibsen.
Et que croyait vous qu’il arrive : Il n’y a pas plus contemporain que le texte et le propos d’Henrik Ibsen.
Javi Rey s’est merveilleusement immiscé dans le texte de l’écrivain norvégien et a réalisé un magnifique roman graphique d’une actualité brûlante.
Deux frères, Thomas et Peter Stockmann ont fondé ensemble une station thermale dont le succès apporte la prospérité de l’île.
Thomas est docteur. Peter est maire.
Thomas va découvrir que l’eau est contaminée et menace la santé des curistes.
Thomas se veut lanceur d’alerte alors que Peter le maire , souhaite laisser tout cela sous le boisseau au nom de l’équilibre économique et financier.
A partir de ce scénario Henrik Ibsen et Javi Rey vont traité de l’opportunisme des médias, de la manipulation, de la majorité bêlante, de la corruption ou encore de l’écologie.
Javi Rey traite cela par son dessin vintage et des couleurs crues qui relève le propos.
Le choix de la grandeur des cases, des détails mis en avant, donnent une grande puissance aux idées développées :
 » La démocratie est le pire système de gouvernement conçue par l’homme. A l’exception de tous les autres  » Winston Churchill.
Un ennemi du peuple est une très belle découverte , qui nous rappelle que la démocratie est fragile et cela depuis bien longtemps.
Merci à Javi Rey et aux Editions Dupuis et Aire Libre de nous donner à nouveau ce texte d’Henrik Ibsen.

Javi Rey est né le 4 juin 1982 à Bruxelles. Il grandit et vit encore à Barcelone. Après des études universitaires, il étudie à l’Escola Joso, la fameuse école d’illustration catalane, où ses professeurs lui transmettent leur passion pour le monde de la bande dessinée. Il démarre son activité professionnelle dans l’animation indépendante et comme story-boarder pour diverses agences de publicité. Frank Giroud lui confie la mise en scène de « Adelante », une histoire épique et romantique pour la collection « Secrets » des Éditions Dupuis. Dans ce premier album, Javi Rey montre son talent déjà grand de dessinateur réaliste et dynamique.

Connemara de Nicolas Mathieu. Actes Sud. 💛💛💛💛

Dans mon billet sur le livre précédent de Nicolas Mathieu , Leurs enfants après eux, j’avais écrit ceci :
Par son écriture et son style, Nicolas Mathieu nous ancre dans la peau de ces personnages, dans cette vraie vie, loin de Paris et la mondialisation
C’est terre à terre, charnel, sans équivoque.
Une écriture populaire, des mots simples nous plongent au coeur de ces jeunes, de leurs parents
Aucun voyeurisme, juste l’envie de vivre, d’exister.
Nicolas Mathieu nous parle de la cité, des relations sociales, de nos rêves et utopies.
Il est toujours l’heure de croire.
Il est toujours l’heure d’un départ.
Et bien je peux reprendre les mêmes termes pour présenter le dernier roman de Nicolas Mathieu , Connemara.
On pourrait penser que Nicolas Mathieu fait de la redite.
Ce n’est pas du tout le cas .
Nicolas Mathieu creuse son sillon et approfondi ses thèmes de prédilections.
Derrière son réalisme, pointe surtout une justesse des situations.
D’abord il reste dans cette région du Grand Est qui est sa matrice, son terreau culturel et social.
Ce terreau fait d’un ancien monde industriel, sidérurgique, ouvrier. Ce terreau fait de villages , de bistrots , de collèges, de scooters, de bals , de villes périphériques. Ce terreau qui enlise aussi et qui empêche d’aller voir ailleurs.
C’était le cas dans Leurs enfants après eux.
Hélène et Christophe, personnages principaux de Connemara reprennent à leur compte cette réalité.
Hélène a tenté de s’extraire de Cornecourt cette ville périphérique de 15 000 habitants. Elle est partie faire des hautes écoles à Paris ou en province .
Elle s’est mariée, a eu deux enfants et travaille tout comme son mari Philippe dans une agence de consulting.
Christophe lui est resté à Cornecourt .
Il s’est marié, il a un garçon. Divorcé il est revenu vivre chez son père. Il sillonne les routes du Grand Est en tant que commercial vendant de la nourriture pour chiens.
Pour tous il reste une ancienne gloire de l’équipe de hockey d’Epinal.
Hélène et Christophe son au mitan de leur vie. La quarantaine va les happer et leur faire vivre une parenthèse
Le temps déjà des souvenirs de l’adolescence, de la jeunesse et de la vie qui file.
Que nous renvoie le miroir ?
Avec Nicolas Mathieu tout est question de miroir. le reflet dans le miroir est il réel, fidèle ou fait il apparaitre les fractures, les zones d’ombre. Qu’est ce qui est le plus important , le plus juste?
Ce jeu de miroir permet de croquer le monde des agences de consulting des Open Space face aux services publics , aux mairies.
Qui y a t il de plus kitch : s’éclater en groupe sur la musique des Lacs du Connemara de Michel Sardou , ou se trouver seul sur Tinder à se fabriquer un profil sexy ?
Nicolas Mathieu travaille la pâte humaine comme un artisan. Toujours le regard, le mot juste. Tous les personnages sont emplis d’humanité, de détresse mais aussi de la possibilité d’une île.
« Là-bas au Connemara
On sait tout le prix du silence
Là-bas au Connemara
On dit que la vie, c’est une folie
Et que la folie, ça se danse. »
 » Comme avec une chanson de Sardou. Quand, dans un mariage, tout le monde se lève, chante à l’unisson et danse, c’est un phénomène humain puissant, épique et beau, qui mérite d’être rendu. « ( Nicolas Mathieu )

Les oiseaux chanteurs de Christy Lefteri. Seuil. 💛💛💛💛

Deuxième plongée dans l’île de Chypre.
Après la lecture de L’île aux arbres disparus d’Elif Shafak, voici Les oiseaux chanteurs de Christy Lefteri.
Elif Shafak nous parle des migrations , de l’exil dans la Chypre Turco – grecque entre 1970 et 2020.
Christy Lefteri ancre son roman dans les années actuelles et va enquêter sur les nombreuses femmes invisibles et asiatiques qui vivent à Chypre.
Les trois premiers chapitres commencent par la même antienne : Un jour, le jour ou Nisha a disparu.
Ce jour ou Nisha a disparu , deux personnes vont nous en parler. D’abord Petra Loizides, opticienne vivant le long de la ligne verte, ligne de séparation de Chypre entres grecs et turcs. Nisha est la nourrice de sa fille Aliki mais aussi sa femme de mènage.
Puis Yiannis , jeune homme, locataire à l’étage de la maison de Petra. Il vit une relation amoureuse avec Nisha sans que Petra en soit au courant.
Yiannis est un ancien financier que la crise de 2008 a ruiné. Il vivote de petits métiers en petits métiers et vit du braconnage des oiseaux chanteurs.
A travers Petra et Yiannis nous allons peu à peu découvrir qui est Nisha. A savoir une jeune Sri lankaise qui depuis de nombreuses années vit à Chypre , en ayant laissé dans son île natale sa fille de 11 ans Kumari.
On va surtout découvrir les sombres réseaux d’un pays gangréné par les trafics en tous genres, trafics d’humains et d’animaux.
Christy Lefteri nous livre une histoire sombre avec beaucoup d’humanité et un personnage lumineux : Nisha..
Dans tout le livre ce sont les autres qui parlent d’elle.
Elle parle en son nom sur les deux dernières pages du livre, dans une lettre écrite à sa fille :
« J’ai tant à te dire. Sois patiente . La vérité a besoin de temps. »
La vérité a eu besoin de 350 pages. Cette vérité se mérite.
Merci aux Editions du Seuil et à Babelio pour cette belle découverte.

Christy Lefteri est une romancière.

Elle est née de parents chypriotes. Elle anime un atelier d’écriture à l’Université Brunel. En 2010, elle a publié son premier roman, « A Watermelon, a Fish and a Bible ».

« L’apiculteur d’Alep » (« The Beekeeper of Aleppo », 2019), son deuxième roman, lui a été inspiré par son travail de bénévole pour l’Unicef dans un camp de migrants à Athènes.

La décision de Karine Tuil. Gallimard. 💛💛💛💛

Voici un roman qui est sur le fil du rasoir. Un sujet hautement inflammable : le terrorisme, l’Islam, les juges.
A ces éléments Karine Tuil rajoute les problèmes personnels du juge anti terroriste, à savoir son divorce et sa nouvelle relation amoureuse avec un avocat qui est défend le prévenu dont elle instruit le dossier .
Hautement inflammable ! Oh que oui !
Mais Karine Tuil mène cela à la perfection avec un fil narratif extrêmement tenu nous plongeant dans les arcanes de la justice et de l’anti terrorisme.

Alma Revel, 49 ans, juge anti terroriste doit se prononcer sur le sort d’un jeune homme revenant de Syrie et suspecté d’avoir rejoint l’Etat Islamique. Liberté ou emprisonnement ? Quelle décision ?
Parallèlement Alma Revel est confrontée à sa vie personnelle, avec un écrivain sur le déclin. Alma entretient une relation avec un avocat.
Divorce ou pas ? Mélange des genres dans la relation avec un avocat ? Quelle décision ?

La décision n’est pas unique, elle est multiple.
Les choix que fera Alma seront importants pour sa vie personnelle mais aussi pour la vie de beaucoup d’autres.

Ce livre est remarquable par le côté documentaire de la vie d’un juge anti terroriste. Cette documentation se chargeant de donner une âme, des émotions à Alma et propulsant le lecteur au coeur de ce maelstrom.
Les verbatims des interrogatoires du juge face à Abdeljalil Kacem, rentrant de Syrie sont absolument prenant et nous oblige , lecteurs, à nous questionner .
Comme la juge.
Abdeljalil est il sincère ?
Ne joue t’il pas de la taqiya , de la dissimulation ?
A t il des velléités terroristes ?
Doit on le laisser en prison avec un risque de radicalisation ?
Doit on le laisser en liberté avec le risque de provoquer un attentat ?
Quelle décision ? Quel poids de la responsabilité ?

Plus le livre avance , plus l’intensité augmente, plus nous sommes confrontés à nos choix individuels et sociétaux.
Décider reste un acte personnel, avec toutes ses conséquences
« -Le risque de prendre une mauvaise décision n’est rien comparé à la terreur de l’indécision (p185) »

Karine Tuil 
est un écrivain français. Elle vit et travaille à Paris. Elle est diplômée d’une maîtrise de droit des affaires et d’un DEA de droit de la communication (Université Panthéon Assas). Elle est l’auteur de douze romans traduits en plusieurs langues. « Les choses humaines », son onzième roman a obtenu le  prix Interallié 2019 et le Goncourt des lycéens 2019.  Il a été adapté au cinéma par Yvan Attal. Le film « Les choses humaines » sorti en salles le 1er décembre 2021 avec 
Ben Attal, Suzanne Jouannet, Charlotte Gainsbourg, Pierre Arditi, Mathie
u Kassovitz, Benjamin Lavernhe, Audrey Dana, Judith Chemla. Il a été sélectionné à la Mostra de Venise et au festival du cinéma américain de Deauville. Karine Tuil a reçu à Venise le 9  septembre 2021, le prix Kinéo Art et littérature à l’occasion de la sortie de l’édition italienne de « Les Choses humaines » « Le cose umane » aux éditions La nave di Teseo.