Le vol de la Joconde de Dan Franck. Grasset.💛💛💛💛

Le vol de la Joconde par Franck

Voici un court roman , gai, jovial, truculent qui se lit en connivence avec l’auteur et les deux personnages principaux : Picasso et Apollinaire, excusez du peu.
Dan Franck est un grand connaisseur des années 1910 et de la vie littéraire, picturale et musicale que connaissait Montmartre et Montparnasse.
Il a dépeint cette période dans un roman magnifique : le Temps des Bohémes.
Dans son nouveau roman le vol de la Joconde, il va s’appuyer sur un fait réel pour nous emmener dans les pas de Picasso et Apollinaire.
Le 22 Août 1911 La Joconde est volée au Louvre . le présumé coupable est un certain Gerry Pieret bien connu dans le monde de l’art pour ses vols et emprunts.
Quand Apollinaire lit la nouvelle dans le journal, son sang ne fait qu’un seul tour. Il faut qu’il joigne à tout prix Picasso.
Car auparavant Gerry Pieret , ancien secretaire d’Appollinaire ,lui avait vendu 2 statuettes antiques volées au Louvre pour le compte de Picasso. Pieret s’étant bien abstenu de mentionner le vol à Apollinaire, devenu receleur à son corps défendant.
Ces statuettes ibériques du cinquième siècle ayant servi de modèle pour la toile Les demoiselles d’Avignon de Picasso.
Picasso et Apollinaire se retrouvent au Bateau Lavoir, mettent les statues dans une valise et les voilà partis à cacher cette valise.
Dan Franck va inventer une traversée de Paris qui durera Cinq jours et qui nous mènera de Montmartre à Montparnasse, dans les gares.
Cette cavalcade sera l’occasion d’arrêt chez le Douanier Rouseau , Matisse, Max Jacob , Modigliani et bien d’autres.
Dan Franck ciséle des dialogues fins entre Picasso et Apollinaire et nous gratifie de quelques anachronismes historiques voulus avec humour.
Et pour que nous soyons partie prenante de cette cavalcade, il parseme son dialogue de « nous » et nous entraîne à sa suite.
C’est réjouissant, enlevé et cela donne envie de relire le Temps des Bohémes pour redécouvrir ce charivari de Montmartre et Montparnasse
Très bon moment de lecture

Rhapsodie italienne de Jean Pierre Cabanes. Albin Michel💛💛💛💛

Rhapsodie Italienne par Cabanes

Comme l’annonce le titre Rhapsodie italienne de Jean-Pierre Cabanes , et pour reprendre la définition de rhapsodie , ce roman est une suite de récits épiques.
Ces récits épiques ont lieu en Italie entre 1915 et 1945.
Et comme pour tous les poèmes épiques il faut des personnages valeureux , romanesques dont l’honneur , la fidélité sont des valeurs premières
Les deux premiers protagonistes sont Lorenzo Mori et Nino Calderone.
Lorenzo Mori est un jeune officier de l’armée italienne. Il vit à Vérone. Quand on le rencontre pour la première fois , il va au mariage de Julia. Celle-ci se marie avec Umberto Galluzzi qu’il déteste.
A peine marié Umberto Galluzzi provoque en duel Lorenzo Mori.
Umberto Galluzzi meurt lors du duel et Lorenzo Mori épouse secrètement Julia car ces deux là s’aiment d’un amour fou. Valeur…Honneur … Romanesque
A l’autre bout de l’Italie , en Sicile précisément, il est aussi question d’honneur. Nino Calderone jeune sicilien a commis un crime d’honneur. Il est dans l’obligation de s’enrôler dans l’armée.
Nous sommes en 1915 , la première guerre mondiale vient de commencer et les Italiens sont aux prises avec les Austro-Hongrois dans la Vénétie. Ce sont « les terre irredenti » , ces terres qui ne sont pas italiennes mais où vivent des Italiens.
Lorenzo et Nino vont se battre pour libérer ces « terre irredenti » et vont devenir des frères d’armes des « arditi » ces militaires qui se sont battus à Vittorio Veneto.
A la fin de la guerre l,un va retourner à Vérone et l’autre en Sicile.
Le destin va les éloigner et en même temps ils resteront liés. Quand tu est « arditi » tu l’es pour la vie.
Pendant la guerre Lorenzo Mori a rencontré Mussolini et il va rapidement adhérer u fascisme et devenir un homme indispensable pour Mussolini.
De son côté Nino Calderone va choisir de rentrer dans la clandestinité d’une mouvance que l’on appelle pas encore Cosa Nostra. Il devient L’ancilu Mostru .( l’ange monstre)
Les trois autres protagonistes sont trois femmes valeureuses,romanesques , amoureuses.
Il y a Julia , le grand amour de Lorenzo , femme rebelle , sociale qui défend la condition féminine.
Il y a Carmela , la Sicilienne à la tête d’un domaine et qui aime Nino
Il y a enfin Laura , la fille de Julia et Lorenzo. Jeune fille intrépide comme son père mais dont les idées penchent plus vers le communisme.
Autour de ces personnages de fiction , viennent s’agréger des personnages réels de cette période 1915 /1945.
Apparaissent Mussolini , ses maîtresses Margharita Sarfatti ,Clara Petacci, sa fille Edda son gendre Ciano , les généraux Graziani et Badoglio.
Défilent devant nous , la prise de pouvoir de Mussolini,la guerre d’Espagne , la guerre d’Ethiopie, le développement du fascisme , l’alliance Hitler Mussolini , le front russe jusqu’à la chute finale.
C’est remarquable et cela ne doit pas être résumé. C’est au lecteur de s’approprier cette Rhapsodie italienne où les événements se succèdent les uns aux autres.
Devant nous grâce à ce mélange parfait entre fiction et réél se déroule l’une des pages importante de l’Histoire de l’Italie mais aussi de l’Europe : la montée du fascisme et du nazisme dans les années 30.
Un petit bémol : Comme il s’agit d’une histoire épique , les héros et les amours sont souvent invincibles et les décorations militaires , les blessures de guerre sont nombreuses.
Ce petit bémol n’enlève en rien de la qualité à ce roman historique qui se lit avec avidité malgré ces 700 pages .

Enfin pour ceux qui sont interéssés par l’Histoire de l’Italie je vous conseille la lecture de Tous sauf moi de Francesca Melandri. Roman qui parle du passé fasciste et colonialiste de l’Italie au travers de la Guerre en Ethiopie et de l’arrivée des Migrants actuellement. Ma critique de ce livre est sur Babélio.

Ps . Ce livre sortira en librairie début Octobre 2019. Livre lu et obtenu dans le cadre de la Masse Critique Privilège de Babelio.

 

Le Gang de la Clef à Molette d’Edward Abbey. Gallmeister.💛💛💛💛

Le gang de la clef à molette par Abbey

On ne peut qu’adhérer aux quelques phrases mis en exergue du livre dans l’édition Gallmeister.
C’est de la bombe , un chef d’oeuvre où la rage se marie au rire, un roman culte qui prône l’ecosabotage et l’insoumission à la loi. Un grand road movie. Comme le dit le Canard enchaîné « comment avons-nous pu passer à côté de ce classique de la contre culture américaine.
Pour un roman écrit dans les années 1970 , le Gang de la Clef à Molette est un livre visionnaire et d’anticipation.
Sous ces dehors jubilatoire et hilarant ce roman nous plonge dans notre époque actuelle avec le réchauffement climatique, la décroissance, la prise en compte de l’écologie.
Voilà donc 4 personnages aussi dissemblables que possible qui vont se lancer dans une aventure épique : contrarier le développement de l’Ouest Américain dans l’Utah autour du canyon du Colorado
Les voici donc prêt à saboter ligne de chemin de fer, ponts , pelleteuses , tracteurs et camions.
Et quand on sait que nos quatre Pieds Nickelés ont des pedigrees plus loufoques les uns que les autres ….
Il y a George Hayduke, vétéran du Viet Nam accro à la bière et aux armes à feu.
Il y a le docteur Sarvis à la noblesse sévère d’un Sibelius ( il fallait la trouver!) qui brûlent les panneaux publicitaires. ( On devrait tous avoir un hobby)
Il y a l’élément féminin, Abbzug, superbe jeune femme maîtresse du sexagénaire docteur Sarvis
Il y a enfin Seldom Seen Smith mormon polygame , ayant quelques épouses aux quatre coins de l’Utah.
Voici formé le Gang de la Clef à Molette .
Et face à eux il y a la loi et l’administration américaine représenté par un évêque, le FBI,ou encore l’équipe de Recherches et de Secours.
Le pot de terre contre le pot de fer
À travers tous ces protagonistes, le cœur de l’Amérique est là, tout comme son dilemme : conservatrice ou progressiste.
Et que croyait vous qu’il arriva ? le pot de fer ou le pot de terre ?
A vous de vous lancer à la suite du Gang de la Clef à Molette pour le savoir.
En tout cas c’est un livre réjouissant, iconoclaste qui ne peut être plus actuel

Le Baiser de Sophie Brocas. Julliard . 💛💛💛

Le baiser par Brocas

Le Baiser de Sophie Brocas est un roman qui mélange fiction et réalité autour de la sculpture le Baiser de Constantin Brancusi.
La réalité : Au cimetière du Montparnasse à Paris il y a la tombe d’une jeune russe, Tatiana Rakoska, décédée en 1910.Sur la stèle de sa tombe est érigée la sculpture le Baiser de Constantin Brancusi. Aujourd’hui cette oeuvre est recouverte d’un coffret en bois et surveillée en permanence par la vidéo. Cette oeuvre fait l’objet de convoitise et certains souhaiteraient l’acheter, la déboulonner ou la transférer dans un musée.
La fiction : Autour de cette réalité Sophie Brocas à bâti un roman autour du journal intime de Tatiana Rakoska et de Camille Ravani , jeune femme avocate d’affaires dans un grand groupe d’avocats à Paris de nos jours.
Le voisin de palier de Camille, Marc Comard qui est directeur des cimetières parisiens lui demande d’intervenir en tant qu’avocate car il a connaissance d’un projet de descellement de l’oeuvre de Brancusi au cimetière du Montparnasse.
A travers ces deux personnages , Tatiana et Camille, Sophie Brocas va nous faire faire voyager entre les années 1910 et notre époque actuelle .
Pour les années 1910 elle va bâtir le journal intime de Tatiana qui nous apprendra les raisons de sa présence à Paris , ainsi que les raisons de la présence de cette oeuvre sur sa tombe.
Pour notre époque actuelle, Camille va partir à la recherche des héritiers de la famille de Tatiana mais aussi des héritiers de Brancusi.
Ce journal intime et cette recherche des héritiers va nous emmener dans l’aristocratie russe exilée à Paris, dans la vie de bohème des artistes parisiens .
Tatania par son journal intime va aussi nous parler de son besoin d’émancipation féminine et de liberté.
Camille à travers ces recherches va nous emmener dans le monde de la propriété des oeuvres d’art. Droit de propriété, droit moral, donation d’une oeuvre.Droits funéraire et cineraire: qui est proprietaire d’une concession – distinction entre caveau et monument funéraire .
Grâce à cet aller retour permanent entre 1910 et aujourd’hui le roman est passionnant et procure un réel plaisir de lecture et de découverte sur l’oeuvre de Brancusi et sur la propriété des oeuvres d’art.
Aller faire une visite au cimetière du Montparnasse et à Beaubourg pour voir l’atelier de Brancusi sera l’objectif d’un prochain voyage à Paris.
Un bémol sur ce roman : le côté fleur bleue de Camille et quelques facilités de scénario dont pâtit la lecture.
Raison des 3 étoiles

Yeruldelgger de Ian Manook. Le livre de poche. 💛💛💛💛

Yeruldelgger par Manook

Yeruldelgger n’est pas une nouveauté mais un voyage de 3 semaines en Mongolie m’a donné envie de commencer la trilogie mongole de Ian Manook. J’ai commencé la lecture à Oulan bator, puis les jours suivants dans les transferts en 4X4 ou le soir sous la Yourte.
Quoi de mieux que lire sur les lieux où se passe l’énigme !
Yeruldelgger est un très bon polar « ethnique » , alternant violence, thriller et connaissance de la Mongolie ( tradition et géopolitique )
Ian Manook à aussi la capacité à décrire la steppe mongole avec poésie.
Un bon moment de lecture en étant en plus dans le pays

Il reste la poussière de Sandrine Collette. Le livre de poche 💛💛💛💛

Il reste la poussière par Collette

Premier livre et première découverte de Sandrine Collette.
Et bien la lecture des quatrièmes de couverture des livres de Sandrine Collette ne ment pas.
C’est noir , âpre ,violent et plus si affinités.
Il reste la poussière est bien dans cette veine et le titre du roman convient bien
Après avoir passé 350 pages avec les quatre frères et la mère dans les steppes de Patagonie, en effet seul résiste la poussière.
Tout ce qui était existant au début du roman à été malaxé ,broyé, revisité pour devenir poussière de la steppe.
Cette steppe argentine immense, ouverte au monde qui sera pourtant un lieu d’enfermement de huis clos.
Une grande ferme, des centaines de moutons, de vaches, de boeufs et une famille pour travailler sur la ferme.
Une famille ? Un euphémisme !
Il y a la mère seule dénomination pour caractériser le personnage.
Il y a les quatre garçons. D’abord les jumeaux Mauro et Joaquim, puis Steban un peu idiot ou benêt et enfin le plus jeune Rafael.
Le père lui est parti avant la naissance de Rafael. Il n’est jamais revenu.
Est il vraiment le père de Rafael?
Les jumeaux ne supportent pas cette incertitude et font de Rafael leur souffre douleur. Tabassage, violence sont leur quotidien
Quand à la mère aucune affectation. Les garçons sont là pour travailler et pour recevoir humiliation et coups de cravache bien placés.
La mère n’a pas d’affection mais pas seulement. Elle aime bien le poker et la bouteille.
Voilà planté le décor de cette ferme aux habitants noirs et violents
Sandrine Collette en dédiant ses chapitres à tour de rôle à chacun des personnages va nous amener au coeur de cette noirceur et nous entraîner dans cette steppe argentine.
Une steppe aussi dure et violente que la vie de cette ferme et de ces animaux
Au bout de la steppe, après quelques jours de cheval, il y a la forêt.
La forêt synonyme de vie, de liberté
Cette forêt qui donnera un peu d’espoir dans ce monde d’une noirceur terrible.
On ne ressort pas guilleret de la lecture du livre de Sandrine Collette.
L’âme humaine à des ressorts vertigineux.

Le naufrage des civilisations d’Amin Maalouf. Grasset 💛💛💛💛

Le naufrage des civilisations par Maalouf

Le naufrage des civilisations est un essai d’Amin Maalouf pour parler de notre monde.
Depuis plus d’un demi siécle Amin Maalouf a parcouru le monde que ce soit à Saigon pour la chute du Vietnam ou encore à Téhéran pour le retour de l’Ayatollah Khomeiny en Iran.
Amin Maalouf d’origine libanaise a une réflexion experte sur le Liban , le Levant et le moyen Orient.
C’est à partir de ma terre natale que les ténébres ont commencé a se répandre sur le monde écrit Ain Maalouf.
C’est la base de cet essai qui depuis les années 45 jusqu’à maintenant va décrire le naufrage des civilisations.
S’appuyant sur les grands événements historiques comme l’arrivée au pouvoir de Nasser en Egypte , la guerre des 6 jours , la partition du Liban ou encore le retour de Khomeiny en Iran, Amin Maalouf nous fait revivre de façon passionnante cette histoire qui a modelé le monde.
Entre conservatisme et progressisme Amin Maalouf nous fait comprendre l’importance de l’année 1979/ 1980 avec l’arrivée au pouvoir de Margaret Tatcher , de Ronald Reegan et l’élection de Jean Paul II.
Ces années 1979 /1980 qui sont à l’origine des profonds changements qui mènent au naufrage des civilisations.
Naissance du terrorisme djihadiste , prédominance du conservatisme et du repli sur soi.
C’est clair , c’est net , c’est précis.
C’est grave , un peu noir mais c’est une réalité.
Il n’y a pas de lumière au bout du tunnel et sans être un oui-oui ou un ravi de la crèche il me semble que le constat est trop noir et qu’il laisse peu de place à une prise de conscience.
Elle sera sûrement tardive , mais pourquoi n’existerait-elle pas ?

Dans l’ombre du brasier d’Hervé Le Corre. Rivages Noirs. 💛💛💛💛

Dans l'ombre du brasier par Le Corre

Dans l’ombre du brasier nous fait vivre la Semaine sanglante qui du 18 au 28 Mai 1871 a mis fin à la Commune.
Nicolas Bellec est sergent et il combat dans les rangs des Communards. Il a à ces côtés  un jeune garçon Adrien  et le dénommé le Rouge.
Il a une bien-aimée Caroline qui bientôt se fera enlever par un personnage aussi glauque que pervers.
Un Communard, Antoine Roques, promu au rang de commissaire enquête sur cet enlèvement et celui d autres jeune filles.
Caroline est séquestrée et oubliée alors que Paris et la Commune brûlent.
Voilà résumé la quatrième de couverture du roman d’Hervé le Corre.
Ce résumé n’est pas juste car ce roman n’est pas qu’un polar, ou un roman noir.
Ce roman est le roman d’hommes et de femmes qui vivent la Semaine sanglante  de la Commune.
C’est un roman de feu, de barricades, de morts mais aussi d’humanité, de conviction,  de solidarité.
C’est l’histoire du peuple de Paris divisé entre Versaillais et Communards.
Au début de la lecture du roman on est déconcerté car il n’est fait aucune mention historique sauf à dire que nous sommes à Paris , que Nicolas est communard, qu’il défend l’idée de la Commune et qu’ils se font canarder par les troupes Versaillaises.
Donc ce roman n’est pas un polar, n’est pas un roman noir ,n’est pas un roman historique.
C’est un roman sur l’humanité,  l’universel.
C’est un roman sur les convictions la solidarité.
Que ce soit Nicolas, Caroline, Antoine , le Rouge ou Adrien, ils ont au fond  d’eux une exigence de vie que même le brasier de Paris ne peut éteindre.
Tout comme ces sans grades,ces anonymes qui forment cette chaine pour la magnifique fin de ce roman.
Ce roman pourrait être écrit  dans d’autres lieux, durant d’autres périodes historiques et l’on  retrouverait ces hommes et ces femmes mus  par ces mêmes convictions.
Sous les traits  d’un roman noir , Hervé  le Corre nous invite à une autre lecture de la vie des hommes et des femmes et rend ces lettres de noblesse au Peuple.

Le Loup de Jean Marc Rochette. Casterman💛💛💛💛💛

Le loup par Merlet

 

 

Nous voilà de nouveau dans le Massif des Écrins  et de l’Oisans avec Jean Marc Rochette. Comme dans Ailefroide, altitude 3954Jean Marc Rochettemet la montagne au centre de son histoire. Ailefroide, altitude 3954, était un récit initiatique sur ces montagnes de l’Oisans que chérit Rochette. de même le loup est un récit initiatique, épique où l’homme affronte la bête. Mais est il si simple de désigner l’homme et la bête. Qui est le plus féroce et le plus retors ?
Au fil de la Bd nos certitudes s’affaissent. La bataille que se livre Gaspard, le berger , et le loup nous entraîne dans des réflexions profondes sur la survie, l’archaïsme, la coexistence.
Cela devient oppressant, étourdissant et le dessin de Rochette magnifie l’histoire.
La montagne omniprésente apporte au combat de l’homme et de l’animal une force extraordinaire.
L’utilisation du bleu presque noir ,associé au blanc gris de la neige et de la montagne conforte cette vision mythique des sommets.
Enfin que dire des regards de Gaspard ou du loup. le trait est pour ainsi dire abstrait et pourtant que de vie, d’humanité dans ces regards .
Enfin quel plaisir de retrouver les lieux , les noms , les couleurs de ce Massif des Écrins qu’il m’arrive de parcourir l’été au cours de randonnées.
Sans oublier le clin d’oeil à  Gaspard de la Meije au travers du berger.
En conclusion une Bd qui prend de la hauteur dans toutes les sens du terme.

De sang et de lumière de Laurent Gaudé. Actes Sud.

En cet avant jour d’élection européenne, je souhaitais vous partager ce texte/poème de Laurent Gaudé. Je m’y retrouve totalement, autant dans les racines que dans la vision de L’Europe.

De sang et de lumière de Laurent Gaudé

Je viens de terres brumeuses
Qui sentent l’odeur chaude des siècles,
La teinture et le houblon.
Je viens des terres que je ne connais pas,
Qui portent des noms à la mine rouge et aux oreilles écartées :
Hazebrouck, Bousbecque, Wervicq , Wattrelos,
Battues par les vents,
Et transpercées d’humidité,
Le Nord industrieux,
Qui embrasse la Belgique
Dans un parfum de labeur.
Le Nord industrieux qui sent le charbon parce qu’il a tant creusé, tant fouillé qu’il en a fait des montagnes,
Ces terrils à la mine sombre qui veillent sur les hommes avec un air de menace.
Tant de carcasses s’y sont usé les os dans des galeries noires qui étaient comme des bouches à avaler les destins.
Le Nord qui sent la poudre aussi,
Champ de bataille depuis des siècles.
Ce temps où l’on mourait au petit matin en armée bien rangée,
Le torse percé, le visage écrasé dans la rosée
A vingt ans à peine.
Pour les armées de l’empereur,
Ou pour défendre des tranchées.
Terres d’assaut, de fuites,
Terres de villes prises, reprises, bombardées.
……
Je viens d’un monde qui sait ce que c’est que de se tordre,
Et avec ça, en plus de la misère,
En plus du dos vouté,
Il y a la guerre.
Les hommes partent, les bombes tombent et l’ennemi approche.
Il faut partir.
L’exode sur les routes de France,
On a marché avec la peur au ventre.
Mon père, nourrisson, braille en appelant le sein
Et dans les charrettes surchargées,
La peur se sentait jusque dans les tétées.
Je viens de cette foule de couvertures, de sacs, de valises mal fermées qui se pressent en direction d’Orléans où l’on sera accueilli par l’oncle et la tante.
…..
L’Europe est née là,
De ces ruines que l’on a voulu un jour transformer en projet.
De ces douleurs qu’on a voulu panser avec la paix.
Je viens de ces terres qui se sont mordues si souvent comme dans un combat de chiens.
…..
Je viens de ce vieil abattoir que fut notre continent,
Jusqu’au jour où ce mot fut prononcé : Europe,
Dans l’espoir de faire taire les loups.
On disait Europe pour calmer sa propre envie de frapper.
On disait Europe pour rompre le cycle des vengeances.
Avons-nous oublié ?
Je viens de ces terres qui savent de quoi l’Europe les a sauvées.
….
L’Europe
Qui, aujourd’hui, a des airs de vieille dame frileuse,
Chacun fait ses comptes,
Chacun se demande s’il y aurait moyen d’avoir un rabais,
Payer moins cher que celui d’à côté.
On veut bien ouvrir ses frontières si cela fait rentrer l’argent,
Mais à tout prix les fermer devant les réfugiés.
L’Europe sans joie, sans élan, sans projet
Comme un bâtiment vide.
L’Europe,
Et ma génération qui l’a croyait acquise
Sera peut-être celle qui l’enterrera.
…..
Le monde entier regarde l’Europe avec envie,
Elle seule ignore qu’elle est riche
Et s’enferme peureuse,
Avec des hésitations de vieille égarée.
La Méditerranée à visage de cimetière.
Chaque jour on meurt en tentant de la traverser.
Depuis des siècles
Chaque pays a connu ses réfugiés.
Grecs, Turcs, Algériens, Siciliens, Pieds-noirs,
Ceux qui fuyaient l’Andalousie d’Isabelle la Catholique,
Ceux qui partaient en Israël,
Les Libanais,
Je viens de cette foule pressée par l’Histoire,
Je suis fils de blessures, de contractions
Mais de la vigne et de l’olivier.
Nous sommes vieux comme le monde,
Héritiers de villes rasées, de peuples en mouvement,
Du désir fou de bâtir pour l’éternité.
….
Nous sommes les fils de l’incendie.
Et notre devoir est de contenir les flammes
Chaque fois, le même combat renouvelé,
Les contenir,
Pour qu’elles rayonnent
Plutôt que de tout brûler.