Sucre noir de Miguel Bonnefoy. Rivages💛💛💛💛

Sucre noir par Bonnefoy

Voici un roman réjouissant,  dépaysant et sérieux.  Sucre noir de Miguel Bonnefoy nous amène loin dans les Caraïbes.
Loin dans le temps à la rencontre du bateau du flibustier d’Henry Morgan. Ce bateau est échoué,  mais dans un lieu insolite,  au beau milieu du feuillage tropical d’un arbre.
Nous voila en enfance , au milieu des pirates, de la forêt à la recherche d’un trésor de bien entendu.
Ce trésor qui fascine , fait des diamants, des colliers et des émeraudes  qu’a volé Henry Morgan
Ce trésor existe sûrement et il a été perdu sur ces terres caribéennes  et plus particulièrement  sur les terres de la famille Otero.
Nous sommes 300 ans plus tard .
La famille Otero est propriétaire d’une maison  et d’une petite habitation séparée des autres. Cette petite habitation n’a jamais été occupée. L’acte de vente précisait que les propriétaires devaient s’engager à ne rien toucher dans la chambre du fond et la porte de cette chambre n’était ouverte qu’une fois par an.
Tous les 1er Novembre, une vieille femme entrait dans la maison avec un seau vide à la main et s’enfermer des heures dans la chambre. C’était l’ancienne propriétaire qui venait pleurer son’mari mort.
Elle remplissait son seau de larmes et au milieu de la nuit elle sortait en refermant la porte à plusieurs tours
Immuablement ce rite se perpetuait chaque année.
A partir de ce rite Miguel Bonnefoy va nous transporter dans les Caraïbes au milieu des cannes à sucre, du rhum, des distilleries mais aussi dans ces familles caribéennes restées pauvres ou ayant grimpées socialement et économiquement grâce au sucre et au rhum
Tel un roman d’aventure mâtiné des rites et coutumes nous allons suivre la Serena Otero, Severo Bracamonte mais aussi Eva Fuego sur la trace du trésor de la flibuste et de la transformation de ce territoire caribéen.
N’oubliez pas le seau vide qui se remplit de larmes.
Un joli et agréable moment de lecture non dénué de réflexion.

Manifesto de Léonor de Recondo. Sabine Wespieser 💛💛💛💛💛

 

Manifesto par Recondo

« On meurt, c’est tout, et on agrandit l’âme de ceux qui nous aiment. On la dilate. La mienne va bientôt exploser »
C’est ce que pense Léonor de Recondo alors qu’elle est dans la chambre 508 del’hôpital pour accompagner vers la mort son père Félix.
Ce texte agrandit , dilate aussi l’âme des lecteurs.
Léonor est assise à la droite de son père sur une chaise en plastique.
Sa mère Cécile est assise à la gauche de Félix dans la chambre 508, chambre d’hôpital ressemblant à toutes les chambres d’hôpitaux .
Un huis clos pour une mort annoncée .
Et puis miracle cette nuit du 25 Mars 2015 devient une nuit lumineuse, amoureuse, tendre.
Une nuit pour construire les souvenirs et les émotions d’une vie. Une nuit pour accompagner une lente séparation . Une nuit dans laquelle s’endort Félix.
Et Léonor de Recondo profite de cet endormissement de Félix pour nous transmettre son dernier rêve : être assis sur un banc auprès d’Ernest Hemingway et discourir de leurs vies , de leurs amours, de l’Espagne, du Pays basque de l’enfance de la guerre.
A ces pages oniriques ( mais relatant la vie de Félix et d’Ernest Hemingway ) répondent la réalité de la vie et de la fin de vie de Félix.
C’est bouleversant, d’une profonde et juste émotion.
Il y a de grands passages sur la réalisation d’un violon par Félix pour sa fille Léonor.
Nous l’entendons ce violon.
Souvent déchirant aux côtés de Félix, Cécile et Léonor
Parfois tendre et discret pour accompagner le départ de Félix
Quelquefois tzigane , pour souligner le plaisir qu’avait Félix à retrouver son Pays basque et sa grand mère Amatxo
Que ce livre porte bien son titre : Manifesto
Manifeste de l’amour, du partage, de la beauté créatrice ( ah ! Les pages sur la table d’harmonie du violon )
Manifeste de Léonor pour Félix et Cécile
« Je devine le visage de Cécile couché près du mien dans l’ombre. J’entends son souffle lent. Alors, sans crainte, je l’écoute et le suis….
Je dépose mon coeur dans le tien
Tu dors, tu ne le sais pas.
Je tresse mon souffle autour du tien
Si discret, tu ne le sens pas.
Et je m’abandonne au sommeil  »
Un livre remarquable .

La Révolte de Clara Dupont-Monod. Stock💛💛💛💛

La révolte par Dupont-Monod

Voici un livre qui nous ramène dans les temps perdus et peut être oubliés du Moyen Age et des croisades.
Avec La révolte Clara Dupont- Monod nous plonge au cœur de l’Aquitaine , de la France et de l’Angleterre
Nous voilà dans les années 1100 aux cotés d’Aliènor d’Aquitaine , de Louis VII, d’Henri Plantagenet et de Richard Coeur de Lion.
La révolte de Clara Dupont-Monod à trois grande vertus.
Première vertu : bien que ce soit un roman , La révolte nous restitue l’histoire telle qu’elle est. La guerre entre la France , l’Angleterre et l’Aquitaine , mais aussi les alliances les trahisons entre Aliénor d’Aquitaine , Henri et Louis VII.
Comme si cela ne suffisait pas , il y aussi les trahisons entre les enfants dAliènor : Henri, Jean, Richard Coeur de Lion.
Et de se rappeler la geste littéraire et cinématographique avec Ivanhoé.
Deuxième vertu : La révolte nous magnifie un personnage féminin : Aliénor d’Aquitaine , Suffragette du Moyen Age.
Dans ce monde guerrier et masculin , elle ne dépare pas et met sa fougue, sa force ,sa féminité à l’encontre de son propre mari Henri Plantagenet.
Ce portrait de femme est saisissant par son avant- gardisme, cette volonté d’être maître de soi et de rester droite quelque fut la perte de liberté
Enfin ce personnage d’Aliénor ne serait pas complet sans parler de la la relation avec son fils Richard Coeur de Lion.
Relation forte , possessive que de nos jours nous pourrions caractériser comme étant toxique .
Cette relation qui aura un impact direct sur des croisades, des guerres, des morts.
Troisième vertu : La concision du livre de Clara Dupont Monod. Il n’a pas du être simple de nous transmettre ce moment d,histoire et de relation familiale au milieu du bruit des épées , des armures et des trahisons.
Et pourtant le livre est fluide , simple à suivre et à comprendre . Et quelle bonne idée d’avoir inclus des lettres d’Aliènor ou d’Aelis. Ces lettres magnifiques nous élèvent émotionnellement et nous rappellent fort à propos que derrière ce monde de guerre et de trahison , il y a des sentiments et beaucoup de grandeur d’âme.
Je reste pourtant avec une légère restriction sur ce roman.
Je pense que c’est sûrement un parti pris de Clara Dupont-Monod de s’en tenir au fait bien que nous soyons dans un roman.
Dans sa  » note de l’auteur  » elle rappelle qu’on pourrait s’amuser à répertorier ce qui relève de l’imagination ou de la vérité mais qu’on aurait tort d’opposer la mécanique du roman et celle de l’historien, tant les deux sont complémentaires.
Et bien je trouve que la mécanique du roman a pris le pas sur l’histoire et que nous sommes en présence d’une chanson de geste à la magnificence d’Aliénor et de Richard Coeur de Lion alors que se furent tout de même des personnages démoniaques et cruels.
Hormis cette restriction , ce livre reste un beau moment de lecture et de redécouverte de l’Histoire si compliquée entre Le France et l’Angleterre.

Avec toutes mes sympathies d’Olivia de Lambertie. Stock 💛💛💛💛

Avec toutes mes sympathies par de LamberterieLivre très personnel que le livre de Olivia de Lamberterie Avec toute mes sympathies.
Le 14 Octobre 2015 le frère d’Olivia de Lamberterie se suicidait en se jetant du pont Jacques Cartier à  Montréal.
Alex avait 46 ans et souffrait de dysthymie, maladie chronique impliquant un spectre dépressif, une mélancolie persistante.
Par des chapitres courts, passant de Montréal à Paris, Olivia de Lamberterie va nous émouvoir par petites touches successives. Petites touches pour nous parler de son enfance et de sa famille  venue de l’aristocratie.  Petites touches pour nous dire les années d’enfance avec son frère Alex et ses soeurs Chloé et Caro. Petites touches encore pour entrevoir des familles recomposées.
Et en filigrane,  ce frère qui tient tant de place. Ce frère qui sombre dans cette mélancolie chronique
La première partie du livre oscille entre tous ces flashs.
Tout est mis à nu. Aucun compromis. Rien de caché. L’émotion fraternelle d’Olivia de Lamberterie affleure et peu à peu imprègne et irrigue toutes les pages du livre.
Cette émotion va emporter la deuxième partie du livre quand Olivia de Lamberterie va être confronté à la  mort de son frère
Sa disparition, son absence vont donner des pages admirables,sans pathos. Un oiseau noir , bleu prendra Olivia de Lamberterie par la main pour l’emmener loin dans le monde fraternel.
« Tu ne nous as pas abandonnés.  Tu t’es arrangé  pour laisser une empreinte si forte dans nos existence qu’elle nous a empêchés de sombrer et qu’elle a fini par nous transcender. Ton existence est indélébile. Tu n’as pas fini de respirer en nous. Ta mort nous a rendus vivants. »
Comme le dit Olivia de Lamberterie en quatrième de couverture : « Je désirais inventer une manière joyeuse d’être  triste »
Cet essai est plus que cela. Il est lumineux

 

 

Le grand Nord Ouest d’Anne Marie Garat. Actes Sud 💛💛

Le Grand Nord-Ouest par Garat

La lecture du livre d’Anne Marie Garat , le Grand Nord Ouest, est une aventure.
Pas seulement parce qu’il se situe dans le grand nord canadien, dans le Yukon, au confins de l’Alaska.
C’est d’abord une aventure littéraire que d’être au prise avec le style d’Anne Marie Garat.
Ce style m’a fortement dérangé  et à fait passer au second plan la trame de ce roman.
Pourtant ce roadmovie dans le Grand Nord Canadien avait de quoi appeler l’aventure.
Une jeune femme d’une trentaine d’années  et sa fille de 6 ans, suite au décès du mari Oswald ,producteur à Hollywood, quittent précipitamment la Californie pour une cavale qui les mènera dans le Yukon.
Nous sommes dans les années 1930. le Grand Nord Canadien reste une terre de fantasme , de chercheurs d’or,  de tribus indiennes et de nature vierge et grandiose.
Le roadmovie de Lorna del Rio et de sa fille Jessie va nous être raconté  par Jessie et un personnage tiers,  Budd, mais 15 ans plus tard.
Ce roadmovie aura permis à Lorna et Jessie  de rencontrer et de vivre auprès d’un couple d’amerindiens,  Kaska et Hermann, d’être poursuivis par des chasseurs de primes et de vivre les grands hivers glacés canadiens.
Qui dit chasseurs de primes, dit cavale, changement de nom
et de multiples découvertes sur les réelles identités de Lorna et Jessie.
Qui dit amérindien, dit réflexions sur le recul de ses tribus, réflexions sur leurs traditions ancestrales ,le chamanisme et leur rapport à  la nature.
Qu’en est il du visible et de l’invisible ?
Qui dit Grand Nord Canadien,  dit grand espace, neige, glace forêt profonde, ours loup et orignaux
Le partage de la vie de ces Indiens Kaska et Hermann induit la recherche profonde de l’altérité.
Tous ces thèmes  sont développés dans le roman d’Anne Marie Garat.
Quand on lit nombre de critiques de le Grand Nord Ouest, il ressort qu’il s’agit d’un grand roman d’aventure, avec des passages admirables pour décrire les paysages canadiens et des personnages très forts qui entraînent le lecteur.
Et il y a quelques critiques qui font part d’une difficulté  à  lire ce roman, à être convaincu du style d’Anne Marie Garat.
Je fais partie de ces personnes.
Tout d’abord le découpage du roman m’a interpellé. Il n’y a pas de chapitre.
Il n’y a aucune césure dans les 300 pages du roman. Comme Lorna et Jessie nous nous lançons dans une aventure,sans parapet, sans corde , sans chemin pour nous maintenir.
Pourquoi pas après tout. Cela nous oblige à rester en éveil.
Mais à ce roman d’une traite,  s’ajoute l’écriture d’Anne Marie Garat  et je ne suis pas parvenu  à adhérer à  ces longues phrases (parfois supérieure à  une page), à cette accumulation de mots, d’adjectifs pour décrire.
La composition des phrases m’a aussi dérouté avec la perte des articles  ou des adjectifs accolés bizarrement.
Et plus avancait la lecture du livre , plus je sentais venir ces accumulations.
Il m’est même  venu à  l’esprit que ce style mise en place  devenait un système d’écriture, qui peut être original, mais qui à force d’être répété permettait de prendre le pas sur la profondeur du roman.
Ce style fait de longue phrases, de synonymes, d’accumulation m’a rendu le livre brouillon et d’une grande lenteur.
Bien qu’ayant lu la totalité du roman, je ne suis pas arrivé à  dépasser ce constat : la forme à pris le dessus sur le fond et je suis resté  un peu beaucoup à l’écart de ce Grand Nord Ouest.

Le grand Nord Ouest d’Anne Marie Garat. 316 pages

 

La guerre en soi de Laure Naimski .Belfond 💛💛💛

La guerre en soi par Naimski

Ce roman court de 136 pages vous attrape et ne vous lâche plus.
Louise ,56 ans, est dans le cercle des boit-sans-soif
« Louise, pourriez-vous nous en dire un peu plus ? Vous savez que vous pouvez être en confiance ici. Tout le monde est bienveillant  »
C’est un homme en blouse blanche qui la interpellé
et Louise de répondre :
« Mons fils est mort . Il avait vingt sept ans, bientôt vingt huit ».
Louise se tient debout dans le cercle
L’homme en blouse blanche en attend encore
« Comment s’appelait votre fils ?  »
Paul , le fils de Louise s’appelle Paul , et ce court roman sera la quête , la recherche d’une mère.
comment a t’elle pu s’éloigner de son fils, comment n’a t’elle pas perçu l’éloignement progressif de Paul.
La guerre en soi est un roman qui porte bien son nom.
Le corps , l’âme de Louise est en guerre contre les autres, contre elle même.
La relation avec le père , la mère , le mari Aurélien ou le frère Mathieu sont autant de marqueurs qui l’entraîne vers les confins sournois de l’alcool.
Et puis il y a Paul , ce fils unique , si loin et si proche
Ce fils qui décide d’aider les migrants , et dont la vie côtoie les hors la loi.
Louise cherche un coupable.
Le migrant est tout trouvé. Mais ce coupable n’est il pas au fond d’elle même.
Dans un style hâché, percutant Laure Naimski nous entraîne loin dans les recoins de l’âme de Louise.
Un livre dérangeant , noir.

 

La guerre en soi de Laure Naimski. 136 pages

Baptêmes du feu de Danièle Henky. Editions Weyrich 💛💛💛

Baptêmes du feu par Henky

Ce roman se passe entre 1912 et 1918 et mélange deux histoires , l’une fictionnelle et l’autre réelle et historique.
L’histoire fictionnelle nous met en présence d’une famille bourgeoise de Bruxelles.Charles Delahaye architecte, est marié à Marie Louise. Ils ont 5 enfants.
Parmi ces enfants Mathilde et Clotilde dont nous suivrons plus particulièrement l’histoire. Leur histoire étant très différente . L’ une Mathilde restant dans le sillage de la famille bourgeoise, l’autre Clotilde quittant la famille, cherchant une émancipation par le travail et le mouvement féministe naissant.
L’histoire réelle ,elle, nous met en présence de Guillaume Apollinaire au moment de sa rupture avec Marie Laurencin. Elle nous parlera de ses amours , de ses poèmes et surtout de son amour pour la France , lui qui est apatride.
Ces deux histoires se télescopent uniquement à la fin du roman.
Ces deux histoires se situent dans la période de la première guerre mondiale.
Le roman est de lecture facile et aborde bon nombre de sujets de cette période : l’émancipation féminine , l’horreur des tranchées ,la culture à travers la vie de Guillaume Apollinaire.
Malheureusement, ces sujets ne sont pas approfondis, et l’on retrouve dans le texte de Danièle Henky un fond universitaire que lui confère son métier .
De même j’attendais plus de la rencontre entre Guillaume Apollinaire et Clotilde.
Or celle-ci n’a lieu réellement que dans les dernières pages du livre et ne donne pas lieu à un développement de l’histoire.
Par contre j’ai beaucoup apprécié la lecture des poèmes de Guillaume Apollinaire mis en résonance avec le fil du roman.
En synthèse un bon moment de lecture , mais souvent convenu et manquant de développement .

Salina – les trois exils. Laurent Gaudé. Actes Sud 💛💛💛💛💛

Salina : les trois exils par Gaudé

Livre admirable , captivant, puissant fait de lumière, de cris , de poussière et de grandeur d’âme.
Comme toujours Laurent Gaudé sait être envoûtant, déchirant. dès les premières lignes vous êtes emporté par la puissance , le souffle, la beauté de l’écriture de Laurent Gaudé.
Le désert, l’Afrique, les clans , les hommes ,des guerriers, les femmes maternelles mais guerrières vous attrapent et ne vous lâcherons plus..
Afrique sûrement ,intemporelle non située. L’imaginaire . le fantasmagorique.
Tel un griot , Laurent Gaudé permet à Malaka de nous conter l’histoire de Salina
Salina ,la mère aux trois exils.
Malaka est son dernier fils et Il va nous raconter la vie de Salina.
Il ne va pas raconter qu’à nous lecteurs , il va raconter aussi Salina à des hommes , des femmes , des enfants qui sont venus l’accompagner pour emmener Salina dans l’ Île Cimetière.
C’est un conte , de vie , de mort , de transmission.
Laissez vous emporter sur la route des trois exils de Salina.
Sa voix porte encore et toujours dans les vents et les sables du désert.
Une voix forte , vengeresse ; une voix juste , une voix de femme qui est restée digne et que son fils Malaka donne au monde.
Et il la donne au monde dans la belle écriture de Laurent Gaudé , magnifiant ces barques , ces hommes et femmes qui viennent écouter le récit de la vie de Salina et qui par leurs présences ouvre la porte de l’immortalité à la femme aux trois exils.
Magnifique Laurent Gaudé !

Salina- les trois exils. Laurent Gaudé . 149 pages

Le Sillon de Valérie Manteau. Editions Le Tripode 💛💛💛

 

Le sillon par Manteau

 

 

Quel livre déroutant ! La fiction rejoignant la réalité.  Et pour dérouter encore plus , le style de Valérie Manteau enfonce le clou. Des phrases sans ponctuation, des personnages en veux tu en voilà,  des noms turcs,kurdes,arméniens et puis le dédale d’Istanbul,ces quartiers européens ou asiatiques, la traversée quotidienne du Bosphore ou de la Mer de Marmara.
Je me suis perdu dans ce livre qui paraît foutraque, mal maîtrisé .
J’ai pensé laisser tomber.
De prime abord je n’ai pas compris que le sillon est reçu le Prix Renaudot.
Et puis je suis allé au bout de cette plongée dans Istanbul et dans la Turquie d’aujourd’hui.
Tout cela à infusé.
Et en définitive le suis tombé sous le charme du Sillon de Valérie Manteau.
Ce livre est à l’image de ses villes arabes avec leurs souks, leur médina .
on a du mal à  s’orienter,à comprendre le cheminement de ruelles , on est submergé par les odeurs , la langue arabe.
On ressort de ces villes tout bizarre, sans tout comprendre ce que l’on a vécu
Et pourtant le temps passant, il reste une nostalgie de ses médinas, de ces ambiances. Peut être  un besoin impérieux d’y retourner pour retrouver cette ambiance.
Le  sillon m’a laissé la même impression. le livre est complexe, déroutant comme l’époque ou il est écrit et comme la situation de la Turquie.
Et puis l’auteure narratrice est ,elle aussi, déroutée, interrogative, à  la recherche d’une compréhension de cette Turquie du 21ème siècle.
Ce pays aux confins de l’Europe et de l’Asie, au prise avec une dictature rampante.
Qu’en est il des peuples qui ont peuplé ces territoires: Arméniens, Kurdes, Syriens, Turcs.
La Turquie se ferme, se rabougrit, exile ses contestataires,  les emprisonnent ou les tuent.
C’est cela que nous raconte le sillon en prenant comme figure de proue Hrant Dink journaliste arménien assassiné en 2007 devant son journal Agos ( le sillon en arménien )
Hrant Dink était un homme de pays défendant aussi bien les Arméniens que les Kurdes
C’est dans ses pas que va marcher Valérie Manteau alors que la France est marqué par l’attentat de Nice et la Turquie par la tentative de coup d’État de juillet 2016.
Elle va rencontrer Asli Erdogan, écrivaine qui dénonce le régime autoritaire turc et prend position en faveur des kurdes. Ce qui lui vaudra 6 mois de prison et sous la pression internationale, une libération.
Mais Asli Erdogan comme beaucoup d’autres prendra le chemin de l’exil
Après la lecture de le Sillon il est salutaire de lire ou relire Le silence même n’est plus à toi d’Asli Erdogan ,recueil de ses chroniques dans le journal pro kurde Ozgur Gundem
Cela resitue le livre de Valérie Manteau et la profondeur de celui ci.

L’Arbre Monde de Richard Powers. Cherche Midi 💛💛💛💛

L'Arbre-Monde par Powers

Il est difficile de résumer le dernier livre de Richard Powers : L’arbre monde.
C’est un hymne , une symphonie en l’honneur de l’arbre.
Je reprends volontiers ce que dit l’un des personnages de ce roman :
 » Vous et l’arbre de votre jardin êtes issus d’un ancêtre commun.Il y a un milliard et demi d’années, vos chemins ont divergé. Mais aujourd’hui encore,après un immense voyage dans des directions séparées, vous partagez avec cet arbre le quart de vos gênes  »
Pour nous emmener dans son roman , Richard Powers va découper celui-ci en 4 parties bien distinctes : Racines – Tronc- Cîmes et Graines.
Ce découpage peut paraître « simplet » quand on parle des arbres.
Au contraire il représente bien la réalité de notre monde végétal et de notre monde humain et que ces deux mondes sont liés inextricablement.
Dans la partie Racines, Richard Powers va nous présenter ces différents personnages. Ils sont au nombre de 9.Ils vivent aux Etats unis.
Pour chacun un chapitre sous forme de nouvelle. La nouvelle se suffit à elle même
Chaque personnage est évoqué à travers ses rapports à l’arbre et au monde végétal.
Parmi ces personnages ,le descendant d’une famille norvégienne qui planta le premier châtaignier dans l’iowa, un ancien du Vietnam qui replante à tour de bras , un geek devenu infirme suite à une chute d’un arbre , une scientifique mis au ban de sa communauté car elle a osé proférer que les arbres parlent , une étudiante à la libido exacerbée dont des voix l’incitent à rejoindre une forêt primaire de séquoias. enfin un psychologue et un spécialiste de la propriété intellectuelle.
Ces personnages représentent les racines de l’histoire que va nous raconter Richard Powers.
Avant 1492 le territoire de l’Amérique était recouvert de quatre grandes forêts primaires. Celle-ci aujourd’hui ne représente plus que 2% du territoire.
Cette forêt primaire se trouve maintenant à l’Ouest des Etats Unis en Californie et dans l’Oregon. Elle est composée d’immense séquoias et de tout leurs éco-système.
Cette forêt primaire est en grand danger du fait de l’industrialisation, du réchauffement climatique.
et c’est autour de ces grands arbres que vont venir de façon intermittente ou continue les 9 protagonistes de cette histoire.
Ils vont faire TRONC pour rassembler ces racines.
Un tronc qui peut être pacifique mais qui est souvent violent et militant.
Selon leur vie , leur état d’esprit ces neufs protagonistes vont irriguer ce tronc. Des fois positivement , mais aussi négativement.
Les combats contre la loi , la désobéissance civile ne sont pas toujours suivis d’issues heureuses.
Et du Tronc ils vont pouvoir pour certains atteindre la cime et grainer.
Quelles graines vont ils pouvoir faire naître. Des graines d’optimisme ou juste des graines pour maintenir un statu quo.
Ce livre de Richard Powers est dense et mérite une attention de tous les instants.
le voyage est long ,parfois ardu mais il nous permet de changer notre regard sur les arbres et notre relation à la nature.
il est temps de prendre conscience que nous ne sommes pas seuls et que sans être des humains il y a des créatures pensantes.
Ce roman ne parle que de relier . A travers les racines pour les arbres , à travers la nature pour les hommes.
Comme l’a dit Richard Powers dans une interview : » Mon livre pose cette question : à quoi ressemblerait la vie si nous posions un regard sur le monde naturel ».
Voila qui est remarquablement fait.
On ressort de ce livre transformé , ouvert au questionnement.
Pour reprendre Richard Powers : »Un livre n’est pas fait pour confirmer ce que nous savons ou ce que nous croyons »
Le pari est réussi.

L’Arbre monde de Richard Powers. 531 pages