Archives pour la catégorie Poésie

Le chant des pentes de Simon Parcot. Le mot et le reste. 🟩🟩🟩🟩◼️

Le chant des pentes

Simon Parcot

Le mot et le reste

ISBN : 978-2-38431-434-8 Août 2024

176 pages

La vallée du Vénéon en Isère a connu récemment des inondations qui ont emporté le village mythique de l’Oisans : La Bérarde au coeur de l’Oisans et des Ecrins. Mais cette magnifique vallée a gardé en son sein deux écrins : le premier est bien connu : Jean Marc Rochette , le dessinateur, l’alpiniste , le créateur du Transperceneige , d’Ailefroide, le loup, et la dernière reine.
Le deuxième va vite être connu. Il s’agit de Simon Parcot, 29 ans, philosophe des sentiers.
Sont roman , le chant des pentes est une réussite totale.
S’appuyant sur les chants sifflés du village d’Aas dans les Pyrénées et sur les chemins des Ecrins, il nous livre un conte pastoral bouleversant.
Mais n’est ce qu’un conte ? Comme tout les contes celui-ci a vocation à dire les choses secrètes, à dire la fantasmagorie et le lien à la nature.
Dans un village de montagne une jeune fille Gayané ne parle pas comme la plupart des enfants..
A la suite d’un rêve, Gayané décide de partir du village et de rejoindre l’alpage du grand Lac par delà les fôrèts.
Les villageois ne vont plus à l’alpage car ils pensent qu’il est hanté par des êtres siffleurs et des personnages mi- humains et mi-vautours.
Pour ce voyage initiatique Gayané sera accompagnée par Hélias, son ami interprète, Manolios le doyen des bergers et La Mule une contrebandière.
Le chant des pentes est un récit de transmission, de langue, d’animisme, de résilience mais aussi d’esprit.
L’écriture de Simon Parcot nous entraine en forêt, dans les alpages, au coeur de la montagne Lumineuse. C’est doux, c’est violent, parfois angoissant. Il faut accepter de lâcher prise et d’arpenter les chemins de montagnes avec des êtres habités par la nature et en symbiose avec celle-ci jusqu’à cette langue sifflée qui irrigue le roman.
Ensuite il sera temps pour chacun de faire sien, le conte et de s’en imprégner.

Simon Parcot est écrivain et philosophe de sentiers.

Jeune, il voyage fréquemment dans le Caucase, les Balkans ou l’Afrique du Nord. Il expérimente le désert, de feu d’abord (Sahara), de glace ensuite (Spitzberg – Pôle Nord). Plus tard, il découvre le Brésil, la folie de l’Inde, la rudesse de l’Himalaya (Népal). Il use aussi ses semelles sur les sentiers d’Europe (Chemins de Compostelle, chemin de Stevenson, Tour de l’Oisans).

Après une expérience en tant que professeur de philosophie, il décide de revenir à la montagne, et d’habiter dans le massif des écrins. Là-bas, il se consacre à l’écriture et invente les « balades-philo », des initiations ambulantes à la philosophie.

La montagne et son univers l’inspirent :

Plus Haut que la Tour Eiffel de Kohndo. JC Lattès. 🟩🟩🟩◼️◼️

Plus haut que la tour Eiffel

Kohndo

JC Lattès

ISBN : 978-2-7096-7021-0 Février 2024

128 pages.

Kohndo est un rappeur français d’origine béninoise. Jusqu’à maintenant il s’exprimait par la chanson, le slam et le rap. Plus haut que la tour Eiffel est son premier roman. Premier roman qu’il a mis en musique dans un album éponyme. L’album reprenant partiellement le texte du roman.
Le texte du roman est en vers plus ou moins rimés et reprend le rythme du rap.
La couverture du livre est explicite. Au dessus du titre trône, stylisé un gilet de sauvetage. Plus haut que la tour Eiffel est l’histoire de Manga ,docker à Cotonou, qui porte le rêve de son père : quitter le Bénin pour Paris et rejoindre un frère qu’il ne connaît pas.
Les mots, le slam se bousculent pour raconter le départ de Manga du Bénin et les vicissitudes de la route des migrants à travers l’Afrique.
Ce texte de 130 pages se lit d’une traite emporté par les mots. C’est aussi sa limite. La rapidité des mots et des phrases ne permet pas au temps de décanter les réflexions et émotions. Il manque sûrement la scansion de la musique pour donner forme poétique au livre. L’écoute de l’album , ajouté à la lecture du livre, permet de rendre justice à ces jeunes africains qui ont le courage et l’ambition de vivre .

KoHndo, de son vrai nom Kohndo Assogba, né le 17 juin 1975 à Saint-Cloud (Hauts-de-Seine), est un rappeur français d’origine béninoise. Originaire du Bénin et ayant passé une partie de son enfance à Ouidah, KoHndo est un chanteur de rap en français lauréat de l’Académie Charles Cros

Le Déversoir d’Arthur Teboul. Editions Seghers. 💛💛💛💛

.Admirateur de Feu Chatterton !, de leur musique , de leurs textes , il me paraissait évident , qu’un jour , Arthur Teboul, chanteur et parolier se lancerait dans l’écriture poétique.
Ecriture poétique particulière puisqu’il s’agit de poèmes en écriture automatique écrits en 7 ou 8 minutes.
Tout n’est pas facile et compréhensible. Poème minute et surréalisme.
Mais comme le dit Arthur Teboul en avant propos : « A quoi sert une fleur ? ça ne se demande pas. « 
Il en est de même pour le déversoir.
On ouvre le livre au hasard, on lit un poème, on est touché aujourd’hui, on sera moins touché demain par le même poème , et puis un autre jour un autre poème.
A quoi sert une fleur ? Une ancolie m’emportera ses trésors d’émotion . Demain je la laisserai sur le bord du chemin et je serai enivré par un lis, une rose.
Et puis les mots du poème  » A Bobin  » :  » Lumière et sourire sont de la même étoffe à qui sait toucher « 
 » Les oiseaux libres, les arbres sans maitres, ce qui est offert sans qu’on possède tu savais le toucher. le cueillir et le montrer. L’accueillir serait plus juste pour ne pas déraciner. Ne jamais déraciner. La Fleur .Mais la noirceur, la prédation, patiemment tu pouvais. Creuser la terre avec force et tranquillité avec certitude « 
Le déversoir est un recueil à cueillir à montrer sans jamais le déraciner.
On le voit comme un tapis floral dans une pâture de montagne. La plus fine et rare fleur côtoie la plus commune d’entre elles.
Tout est là pour notre plaisir.

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Arthur Teboul est le chanteur du groupe Feu! Chatterton depuis 2011. Quand il ne compose pas des chansons, il écrit des “poèmes minute”. Un exercice littéraire qui consiste à chercher à capter l’instant présent en écrivant d’une traite.

Pour Arthur Teboul, écrire des poèmes constitue « une forme de devoir citoyen, social. La fonction du poète est d’enjoindre ses semblables à faire halte, de montrer une direction inattendue. C’est tellement émouvant, intense, c’est tellement fort. » Arthur Teboul regrette que ce métier n’existe plus « depuis au moins 100 ans. Il mérite au moins d’exister autant que le métier de fleuriste… Et j’adore le métier de fleuriste ! »

Nous, L’Europe banquets des peuples de Laurent Gaudé. Actes Sud .💛💛💛💛💛

Nous, l'Europe : Banquet des peuples par Gaudé

Nous, l’Europe banquets des peuples est de la même veine que de Sang et de lumière. Indignation, colère, passion ,la violence du verbe, le tout au service d’une poésie épique.
Il m’est difficile d’être objectif avec la poésie ou la prose de Laurent Gaudétellement je la trouve juste éprise d’un souffle incandescent,
J’ai offert ce livre à l’une de mes filles en lui écrivant un petit texte sur la page de garde.
Ce sera ma chronique / critique de Nous, l’Europe banquets des peuples
Par dessus les Flandres
Et jusqu’au cours du Rhône
Le banquet de l’Europe est une nécessité
Depuis 4 générations l’Europe à survécu à  la fin de l’ère industrielle,
A une soif coloniale qui a découpé des territoires comme un damier
A La cruauté de deux guerres mondiales qui ont laminé les hommes,
A l’idée  qu’il pouvait y avoir des hommes inférieurs
A La construction d’un mur
A des dictatures sur les terres portugaises, espagnoles, grecques.
L’Europe est revenu de tout malgré sa Technocratie,
Malgré sa difficulté à entendre les peuples
Elle continue à mal entendre
A mal entendre le ressac de la Méditerranée
A mal entendre le souffle des Européens.
Les nationalistes parlent à ses frontières
Et pourtant l’Europe n’a jamais été  aussi nécessaire pour éclairer le monde
Alors n’ayons pas peur des utopies, du partage, de l’invention, des colères salvatrices.
C’est à cette génération , la vôtre mais aussi encore un peu la nôtre,
D’emporter notre Europe dans un fracas d’idées et de rêver plus grand.
Festoyez au Grand banquet des peuples.

De sang et de lumière de Laurent Gaudé. Actes Sud.

En cet avant jour d’élection européenne, je souhaitais vous partager ce texte/poème de Laurent Gaudé. Je m’y retrouve totalement, autant dans les racines que dans la vision de L’Europe.

De sang et de lumière de Laurent Gaudé

Je viens de terres brumeuses
Qui sentent l’odeur chaude des siècles,
La teinture et le houblon.
Je viens des terres que je ne connais pas,
Qui portent des noms à la mine rouge et aux oreilles écartées :
Hazebrouck, Bousbecque, Wervicq , Wattrelos,
Battues par les vents,
Et transpercées d’humidité,
Le Nord industrieux,
Qui embrasse la Belgique
Dans un parfum de labeur.
Le Nord industrieux qui sent le charbon parce qu’il a tant creusé, tant fouillé qu’il en a fait des montagnes,
Ces terrils à la mine sombre qui veillent sur les hommes avec un air de menace.
Tant de carcasses s’y sont usé les os dans des galeries noires qui étaient comme des bouches à avaler les destins.
Le Nord qui sent la poudre aussi,
Champ de bataille depuis des siècles.
Ce temps où l’on mourait au petit matin en armée bien rangée,
Le torse percé, le visage écrasé dans la rosée
A vingt ans à peine.
Pour les armées de l’empereur,
Ou pour défendre des tranchées.
Terres d’assaut, de fuites,
Terres de villes prises, reprises, bombardées.
……
Je viens d’un monde qui sait ce que c’est que de se tordre,
Et avec ça, en plus de la misère,
En plus du dos vouté,
Il y a la guerre.
Les hommes partent, les bombes tombent et l’ennemi approche.
Il faut partir.
L’exode sur les routes de France,
On a marché avec la peur au ventre.
Mon père, nourrisson, braille en appelant le sein
Et dans les charrettes surchargées,
La peur se sentait jusque dans les tétées.
Je viens de cette foule de couvertures, de sacs, de valises mal fermées qui se pressent en direction d’Orléans où l’on sera accueilli par l’oncle et la tante.
…..
L’Europe est née là,
De ces ruines que l’on a voulu un jour transformer en projet.
De ces douleurs qu’on a voulu panser avec la paix.
Je viens de ces terres qui se sont mordues si souvent comme dans un combat de chiens.
…..
Je viens de ce vieil abattoir que fut notre continent,
Jusqu’au jour où ce mot fut prononcé : Europe,
Dans l’espoir de faire taire les loups.
On disait Europe pour calmer sa propre envie de frapper.
On disait Europe pour rompre le cycle des vengeances.
Avons-nous oublié ?
Je viens de ces terres qui savent de quoi l’Europe les a sauvées.
….
L’Europe
Qui, aujourd’hui, a des airs de vieille dame frileuse,
Chacun fait ses comptes,
Chacun se demande s’il y aurait moyen d’avoir un rabais,
Payer moins cher que celui d’à côté.
On veut bien ouvrir ses frontières si cela fait rentrer l’argent,
Mais à tout prix les fermer devant les réfugiés.
L’Europe sans joie, sans élan, sans projet
Comme un bâtiment vide.
L’Europe,
Et ma génération qui l’a croyait acquise
Sera peut-être celle qui l’enterrera.
…..
Le monde entier regarde l’Europe avec envie,
Elle seule ignore qu’elle est riche
Et s’enferme peureuse,
Avec des hésitations de vieille égarée.
La Méditerranée à visage de cimetière.
Chaque jour on meurt en tentant de la traverser.
Depuis des siècles
Chaque pays a connu ses réfugiés.
Grecs, Turcs, Algériens, Siciliens, Pieds-noirs,
Ceux qui fuyaient l’Andalousie d’Isabelle la Catholique,
Ceux qui partaient en Israël,
Les Libanais,
Je viens de cette foule pressée par l’Histoire,
Je suis fils de blessures, de contractions
Mais de la vigne et de l’olivier.
Nous sommes vieux comme le monde,
Héritiers de villes rasées, de peuples en mouvement,
Du désir fou de bâtir pour l’éternité.
….
Nous sommes les fils de l’incendie.
Et notre devoir est de contenir les flammes
Chaque fois, le même combat renouvelé,
Les contenir,
Pour qu’elles rayonnent
Plutôt que de tout brûler.