Quel livre magnifique que L’art de perdre d’Alice Zeniter.
A travers trois générations sont abordés avec justesse et profondeur les thèmes de la transmission, de l’identité, du langage,du pays, de l’immigration et de l’émigration .
Sur trois générations nous allons suivre les turbulences d’une famille algérienne mais aussi Kabyle.
Nous sommes dans les années 1950/1960 sur la crête d’un paysage à quelques kilomètres de Palestro.
Sur cette crête 3 maisons qui accueillent la grande famille d’Ali.
Ali est un kabyle mais un français du fait de la colonisation de l’Algérie Française.
Durant la deuxième guerre mondiale il a combattu pour la France dans l’Est mais aussi au Monte Cassini en Italie.
Il est revenu au pays comme un héros. Quelques kilos de médailles accrochés à la veste.
Avec Yema ils vivent une vie simple sur leur crête.
Les enfants arrivent régulièrement même si des fois ,l’un d’entre eux ne peut se raccrocher à la vie.
Il descend régulièrement à Palestro où il participe à l’association des anciens des deux guerres mondiales.
Quand il descend à Palestro,il entend le bruit du monde et les soubresauts d’une indépendance qui veut s’installer en Algérie. Moudjahidin ou Fellaga. le choix n’est pas un choix. Il faut prendre position .
Ali voit les dégâts de la colonisation mais aussi du NFL
Pour protéger les siens il fait le choix de la France.
Il devient Harki.La force des mots!
Il doit quitter sa crête et sa Kabylie. Pour le FNL il est un traître au pays.
Avec sa famille il embarque pour la France et.. …les camps.
Hamid est l’un des fils d’Ali . Il avait 8 ans quand il a quitté l’Algérie au bord d’un ferry
Il a passé son enfance de camp en camp dans le Sud de la France jusqu’à ce que sa famille soit
autoriser à s’installer dans un Hlm à Flers dans l’Orne.
Dans 3 pièces et avec 9 enfants Ali et Yema vivent l’immigration et Hamid vit une intégration auprès de ses copains français comme lui.
Le lien se distend entre Hamid et Ali. Ils ne parlent plus au propre comme au figuré la même langue.
L’arabe peu à peu disparaît pour Hamid.
Pour Ali la langue française reste interdite
Ali se mûre dans ses secrets et dans sa Kabylie.
La transmission est impossible. Hamid n’a pas de passé.
Au tournant des Années 1970 / 1975 Hamid va partir vivre sur Paris et connaître sa future femme Clarisse.
Quatre filles viendront donner des petits enfants à Yema. Ali à déjà rejoint sa dernière demeure.
Naima est l’une de ces quatre filles
C’est elle qui est à l’origine de ce livre.
L’Algérie dont est originaire sa famille n’est qu’une toile de fond sans intérêt
Pourtant les questions identitaires, les attentats de Charlie,du Bataclan,de Bruxelles la renvoie à ses origines.
Mais ses origines sont insondables.
Son histoire familiale ne lui a jamais été raconté
A quoi peut elle et doit elle s’accrocher ?
A travers ses trois générations Alice Zeniter nous raconte,à distance sa propre réalité et nous donne à réfléchir sur le fond de la transmission.
Si il n’y a pas de transmission , tout se perd et la vision des choses est totalement déformée.
Pour Naima la représentation de l’Algérie c’est le Hlm 3 pièces de Ali et Yema et non la réalité d’un pays.
Si il n’y a pas transmission de la langue de la culture tout se perd.
Mais est ce que la perte n’est pas un bien plutôt que vivre dans des illusions .
Est ce que la perte ne permettrait elle pas d’être soi et de faire siens ses héritages
Les descendants ont un travail à faire à fin de s’approprier leur histoire mais se l’approprier dans le temps présent.
Ali et Hamid ne veulent ou ne peuvent pas parler de leur passé, de l’ Algérie .
C’est à Naima de retrouver ce passé dans la culture,dans l’histoire et d’en faire sa propre histoire.
Alice Zeniter emprunte à Elizabeth Bishop poétesse américaine les vers suivants:
Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître
Tant de choses semblent si pleines d’envie
D’être perdues que leur perte n’est pas un désastre
Perds chaque jour quelque chose.L’affolement de perdre
Tes clés, accepte le,et l’heure gâchée qui suit.
Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître
Puis entraîne toi,va plus gite,il faut étendre
tes pertes :aux endroits,aux noms ,au lieu où tu fis
Le projet d’aller. Rien là qui soit un désastre.
J’ai perdu la montre de ma mère. La dernière
Ou l’avant dernière de trois maisons aimées : partie !
Dans l’art de perdre il n’est pas dur de passer maître
J’ai perdu deux villes,de jolies villes. Et plus vastes
Des royaumes que j’avais,deux rivières, tout un pays.
Ils me manquent, mais il n’y eut pas là de désastre.
Et quand Naima montrera une photo d’Algérie à Yema sur laquelle apparaît
Une femme de sa famille avec ses bijoux
Yema dira : elle porte mal ses bijoux !
Pour le reste l’Algérie le pays est perdu depuis longtemps.