Et vous passerez comme des vents fous de Clara Arnaud. Acte Sud . 💛💛💛💛💛

Trois personnages inoubliables. le dĂ©cor pyrĂ©nĂ©en, l’estive, la montagne, les villages
. Et puis l’Ours.
Le roman commence en 1902 avec Jules, jeune garçon des PyrĂ©nĂ©es ariĂšgeoises. Celui-ci part dans la montagne prĂ©lever un jeune ourson dans la taniĂšre familiale. La description est grandiose. Revenu au village d’Arpiet, il pense pouvoir rĂ©aliser son rĂȘve, quitter les PyrĂ©nĂ©es et parcourir le monde avec son ours, tantĂŽt guĂ©risseur tantĂŽt bĂȘte de foire.
Au fil du roman, Jules reviendra nous donner des nouvelles de son parcours autour du monde avec son ourse.
Le narratif principal se situera de nos jours autour de deux autres personnages : Gaspard et Alma.
Gaspard est revenu en AriĂšge avec sa femme et des deux filles. le retour Ă  la terre. de nouveau il passera l’Ă©tĂ© lĂ -haut dans la montagne avec ses bĂȘtes, ses chiens et sa jument.
Alma est Ă©thologue. Pour son mĂ©tier elle a vĂ©cu auprĂšs des ours en Alaska et en Asturies. Sa nouvelle mission est d’Ă©tudier l’adaptation des ours dans la montagne ariĂšgeoise.
L’Ă©criture de Clara Arnaud est Ă  la hauteur de la beautĂ© de la montagne et de la nature. On est au plus prĂšs de l’estive, de la transhumance, de la vie des brebis. La rosĂ©e nous enveloppe tout comme le brouillard sur le Mont Calme. Les bruissements nous surprennent au dĂ©tour d’une page. On est heureux d’ĂȘtre encabanĂ© quand l’orage se dĂ©chaine. On est dans les pas d’Alma au plus prĂšs de la vie des plantigrades. La vie, les saisons, les dangers, la mort animale ou humaine.
Tout pourrait ĂȘtre pour le mieux dans cette nature mais les peurs ancestrales et actuelles des humains prennent parfois le dessus. L’ours reste un fauteur de trouble, un mangeur de brebis. Il est pourtant dans son milieu, dans sa taniĂšre. Est-il possible d’envisager une cohabitation entre l’homme et l’animal ?
L’auteur ne prend pas partie mais explore toutes les pistes. Les regards diffĂ©rents de Gaspard et d’Alma se rĂ©pondent et proposent une rĂ©flexion profonde sur le rapport au sauvage.
On ressort de ce livre avec un surplus de vie, d’Ă©motion, un besoin d’arpenter la montagne, de respecter les bergers, l’estive et les ours.
La montagne, les brebis, l’ours, les hommes est un fil d’ariane que nous rappelle Clara Arnaud. Gaspard vit dans l’ancienne maison de Jules, le montreur d’Ours.
Clara Arnaud termine son roman pars les vers d’HovhannĂ©s Chiraz :
Nous étions en paix comme une montagne
Vous ĂȘtes venus comme des vents fous
Nous avons fait front comme nos montagnes
Vous avez hurlé comme les vents fous
Eternels nous sommes comme nos montagnes
Et vous passerez comme des vents fous.
Belle réflexion qui referme ce magnifique roman.

Clara Arnaud est écrivain voyageur et romanciÚre.

La lecture de rĂ©cits d’aventure exacerbe ses rĂȘves de voyage et, Ă  15 ans, elle dĂ©couvre la langue chinoise. Mais son premier voyage en Chine n’est pas pour tout de suite : Ă  16 ans, elle traverse l’Europe en train, du sud au nord ; Ă  17 ans, elle pĂ©dale seule au QuĂ©bec et rĂ©itĂšre l’expĂ©rience cycliste dans l’Ouest irlandais un an plus tard. Puis, c’est au Kirghizistan que la porte sa farouche passion pour les montagnes et les chevaux.

En 2008, aprĂšs une annĂ©e de prĂ©paration et ĂągĂ©e d’Ă  peine 21 ans, Clara Arnaud dĂ©barque en Chine. Durant cinq mois, ce pays lui offre une expĂ©rience bouleversante qui culmine au Tibet et dont elle tire un rĂ©cit aux Ă©ditions GaĂŻa intitulĂ© « Sur les chemins de Chine » pour lequel elle reçoit de nombreux prix dont le Grand prix de la fondation Zellidja en 2009.

Entre ses voyages, Clara se consacre Ă  ses Ă©tudes de gĂ©ographie, de chinois et d’économie Ă  Sciences-Po, ainsi qu’à sa passion pour la course Ă  pied et l’équitation. Elle est titulaire d’un master Ă  Sciences-Po (2009-2011) et Ă  l’UniversitĂ© Tsinghua (2011).

Clara Arnaud travaille depuis plus de dix ans sur des projets de dĂ©veloppement international, et ses premiĂšres missions l’amĂšnent au SĂ©nĂ©gal, au BĂ©nin et au Ghana, avant la RĂ©publique DĂ©mocratique du Congo et le Honduras.

Elle consacre son premier roman, « L’orage » (2015), Ă  Kinshasa, la capitale congolaise oĂč elle restera deux ans. En 2021, elle publie son roman, « La verticale du fleuve ».

Dans ces remerciements Clara Arnaud pensent surtout Ă  Francis Chevillon et Gilda Chevillon sans qui le texte du roman serait tout autre chose.

Voici un texte de Francis Chevillon sur l’apprivoisement du berger.

Comment apprivoiser un berger

Francis Chevillon, bergerIl y a beaucoup d’espĂšces plus ou moins en voie de disparition dans les montagnes. Aujourd’hui, je voudrais parler de celle que l’on appelle communĂ©ment « pĂątre » ou « berger. »

C’est une espĂšce Ă©trange, gĂ©nĂ©ralement armĂ©e d’un bĂąton, d’un couvre-chef de formes plus ou moins diverses et d’un parapluie en bandouliĂšre (quel que soit le temps d’ailleurs). Pratiquement, il est toujours accompagnĂ© d’un ou plusieurs chiens, souvent bruyants, mais pas toujours agressifs.

Ses moeurs sont quelquefois surprenantes: affable, ou bourru, sans qu’on ne comprenne toujours la cause. Nous avons Ă  ce propos relevĂ© quelques constantes intĂ©ressantes:

Plus le groupe de visiteurs sera important et voyant, plus il aura tendance Ă  se cacher.

D’autre part, on peut noter qu’il est assez facile Ă  apprivoiser avec du vin, du Ricard ou de la viande rouge (la verroterie est Ă  dĂ©conseiller), par contre, nous en avons rencontrĂ© un qui prĂ©fĂ©rait le jus de fruit au vin, le riz complet et la salade au steack braisĂ© (ces goĂ»ts bizarres correspondent, nous semble-t-il, Ă  la longueur des cheveux du-dit berger, mais cela reste Ă  vĂ©rifier!)

2 bergersAprĂšs une Ă©tude psycho-sociologique poussĂ©e et de nombreuses expĂ©riences, nous avons dĂ©terminĂ© un point qui semble fondamental et doit conditionner toutes nos attitudes. Il est persuadĂ©, dans tous les cas–mĂȘme si c’est Ă  des degrĂ©s divers–que la montagne lui appartient. Il s’agit donc, pour nous, d’en tenir compte. Par exemple, il apprĂ©ciera toujours qu’on lui demande la permission d’Ă©tablir un campement, ou de capter une source. Il s’avĂ©rera mĂȘme dans certains cas de « bons conseils », notamment pour prĂ©voir le temps (il semble jouir Ă  ce propos d’un sens supplĂ©mentaire), ou pour nous aider dans un travail de prospection car, en gĂ©nĂ©ral, il connait assez bien son secteur, quoiqu’il marque un dĂ©gout souvent prononcĂ© pour tout ce qui peut ressembler Ă  un trou ou Ă  une grotte. A ce propos, il est toujours judicieux de lui faire remarquer qu’aprĂšs nos explorations, nous reboucherons ou nous protĂ©gerons les trous que nous avons dĂ©sobĂ©s. De mĂȘme qu’il aime Ă  ce que la place du campement soit nettoyĂ©e au moment du dĂ©part (plastiques, boĂźtes de conserves, etc…)

Une autre constante d’ordre psychologique que nous avons pu observer est le fait que « la modestie ne l’Ă©touffe pas ». Il aura mĂȘme tendance, dans certains cas, Ă  pratiquer une attitude condescendante en ce qui nous concerne. Nous en avons mĂȘme rencontrĂ© un qui se comparait Ă  l’Aigle ou Ă  l’Isard. Cela semble dĂ» au fait qu’il se tient plus particuliĂšrement sur les crĂȘtes ou aux endroits escarpĂ©s pour surveiller son bĂ©tail.

Une mĂ©thode simple pour l’apprivoiser consiste Ă  lui signaler les bĂȘtes isolĂ©es que l’ont peut apercevoir, en prenant bien soin de lui signifier la marque ou « pĂ©gĂ© » qu’elles ont sur le dos, ainsi que sa couleur ou sa localisation. (Le pĂ©gĂ© est une marque Ă  la peinture que les brebis ont, soit sur les Ă©paules, le dos ou l’arriĂšre-train; il est diffĂ©rent selon les propriĂ©taires. Les vaches quant Ă  elles n’ont qu’une Ă©tiquette (appelĂ©e « boucle ») Ă  l’oreille, avec un numĂ©ro). Il convient de le renseigner de façon assez souple afin de lui laisser la possibilitĂ© de dire « qu’il le savait dĂ©jĂ  ». Idem pour les bĂȘtes mortes que l’on peut rencontrer.

A ce propos, il semble Ă©vident qu’il nous faut Ă©viter Ă  tout prix de laisser rĂŽder nos chiens (il est mĂȘme grandement prĂ©fĂ©rable de ne pas en avoir) car il marque un obession notoire Ă  ce sujet.

Pour que le contact soit facilitĂ©, il est nĂ©cessaire de connaĂźtre quelques termes dont il se sert le plus couramment, afin d’Ă©viter d’ĂȘtre traitĂ© de « touriste »–ce qui sonne souvent comme une insulte dans sa bouche.

Les BREBIS ou femelles adultes. Elles sont la grosse majoritĂ© du troupeau et c’est le terme gĂ©nĂ©ral qu’il emploie lorsqu’il veut parler d’un groupe, et non pas le vocable MOUTON rĂ©servĂ© aux mĂąles chatrĂ©s de plus d’un an. Les mĂąles entiers pour la reproduction Ă©tant les BELIERS, souvent avec des cornes, encore que cela dĂ©pende des rĂ©gions, de mĂȘme que les brebis.

Un berger sur les estivesIl emploie le terme « mousquer » ou « coumer » pour parler de l’habitude qu’on les bĂȘtes de se protĂ©ger du soleil pendant les heures chaudes du midi. C’est d’ailleurs une attiutde qu’il partage aussi volontiers. Il parle de « faire la sieste » et il n’est jamais judicieux de venir le voir Ă  ces heures lĂ , mĂȘme pour lui demander une boĂźte d’allumettes ou un ouvre-boĂźtes.

Une autre tactique d’apprivoisement que nous avons employĂ©e avec succĂšs–surtout dans le cas de cabane isolĂ©e ou Ă©loignĂ©e de la limite des bois–consiste Ă  lui rendre visite avec un fagot de bois que l’on dĂ©charge ostensiblement devant la porte de son abri. Sa reconnaissance, mĂȘme si elle n’est pas marquĂ©e, sera bien Ă©videmment proportionnelle Ă  la dimension du-dit fagot. Cette mĂ©thode est donc Ă  dĂ©conseiller aux personnes dĂ©jĂ  lourdement chargĂ©es ou fatiguĂ©es de naissance, mais peut provoquer une invitation Ă  la veillĂ©e dans la mesure oĂč l’on aime Ă  entendre des histoires animaliĂšres ou de l’ancien temps. (Il convient d’Ă©viter dans ce cas d’arriver trop nombreux, surtout si l’on ne fournit pas la boisson.)

Soulignons Ă  ce propos qu’il est fermement dĂ©conseillĂ© de pĂ©nĂ©trer dans « sa » cabane en son absence, mĂȘme si celle-ci (errare humanum est) est portĂ©e « refuge » sur notre carte.

Un autre sens (en plus de la prĂ©diction du temps dont nous avons parlĂ© plus haut) semble ĂȘtre plus dĂ©veloppĂ© que d’ordinaire, c’est la vue, qui’il complĂšte d’ailleurs trĂ©s souvent par une paire de jumelles plus ou moins sophistiquĂ©es. A ce propos, il nous faudra admettre qu’il sera presque toujours au courant de tout ce qui touche nos allĂ©es et venues ou nos activitĂ©s matinales. Il faut savoir en tenir compte.

Es espĂ©rant que ces quelques remarques sans prĂ©tention puissent aplanir le fossĂ© qui sĂ©pare presque deux civilisations, et qu’ensemble nous puission jouir des montagnes qui nous entourent.

–Francis Chevillon

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