
Quel plaisir de retrouver les ambiances fictionnelles de Franck Bouysse. Toujours ce mĂ©lange de monde rural, de paysage et de personnages atypiques. L’homme peuplĂ© est de la mĂȘme veine que NĂ© d’aucune femme ou Buveurs de vent. Toujours des titres de roman qui interrogent et emmĂšnent le lecteur.
L’homme peuplĂ© ne fait pas exception Ă la rĂšgle.
Paysages d’hiver. Neige, arbres nus. Ambiance froide et glaciale
Mais aussi la chaleur de l’Ă©tĂ©, la lĂ©gĂšretĂ© d’une fleur, le vent dans les arbres.
Des animaux, des fermes, des stabulations.
Un village, une épicerie- bar.
Le tout sûrement dans la ruralité du Massif Central.
Harry, Ă©crivain en mal d’inspiration vient s’y ressourcer dans une vieille ferme, qu’il a achetĂ© suite Ă une succession.
Rapidement il se sent épié . Dans cette campagne, les ombres, les bruits deviennent étranges, fantasmagoriques.
Cela serait il le fait de son voisin Caleb, guĂ©risseur et sourcier. Caleb vivant sous l’emprise de sa mĂšre.
Ou cela serait-il le fait de Sofia qui tient l’Ă©picerie. Quel secret protĂšge t-elle ?
Franck Bouysse nous entraßne dans un maelström entre réalité, passé, monde intérieur.
Que recherche Harry l’Ă©crivain ? Une vĂ©ritĂ©, une crĂ©ation romanesque ?
Le tout dans une nature somptueuse magnifiĂ©e par l’Ă©criture de Franck Bouysse.
Des associations de mots qui engendrent immédiatement des visions, des odeurs.
Une Ă©criture qui sculpte des personnages, des personnalitĂ©s. Rien n’est fade. Tout Ă un sens.
L’homme peuplĂ© est un roman exigeant qui ne se donne pas. Il faut accepter des incomprĂ©hensions, des Ă©tonnements. La nature humaine n’est pas simple et il est difficile d’en accueillir les fantĂŽmes et les fatalitĂ©s.
Et quand arrive la fin du roman le prĂ©sent et le passĂ© sont intimement liĂ©s et nous questionnent sur la rĂ©alitĂ© de L’homme peuplĂ©.
Du mĂȘme auteur sur ce blog
Buveurs de vent

Imaginez vous surplombant le Gour Noir. Une vallée encaissée traversé par un viaduc. Plus bas dans la vallée, une petite ville et son énorme usine électrique. Une usine électrique qui tisse sa toile et phagocite tout.
Il y a eu la guerre quelques années plutÎt.
L’imagination court. Pleins de lieux viennent Ă l’esprit. Tous plus noirs les uns que les autres.
Qui n’a pas en tĂȘte les vallĂ©es encaissĂ©es des Vosges,du Massif Central, des Alpes ou des PyrĂ©nĂ©es. Ces vallĂ©es sombres dans lesquelles le bĂ©ton des barrages ou des usines Ă©lectriques teinte de gris le paysage.
Nous sommes dans l’univers qu’ Ă installĂ© Franck Bouysse. Et l’univers, on le sent bien il est bien prĂ©gnant. Reste maintenant Ă faire vivre les personnages. Une belle brochette !
D’abord, Joyce le tyran. Il dirige l’usine et en vĂ©ritĂ© la totalitĂ© de la vallĂ©e. Tout lui appartient. Jusqu’Ă la ville dont les noms de rue ne sont qu’une dĂ©clinaison de son patronyme : Joyce Principale, Joyce 1, Joyce 5 etc…
Pour ĂȘtre un bon tyran il faut des sbires. Joyce Ă ce qu’il faut et la panoplie est rĂ©jouissante et inquietante : Double et Snake pour les basses oeuvres , Lynch pour maintenir l’ordre ou encore Salles et Renoir.
Le western n’est pas loin. Il manque une famille. La voila: le grand pĂšre Elie, pipe au bec et estropiĂ©. Il vit chez ses enfants: Martha sa fille et son gendre Martin. Martha est confite dans sa bigoterie alors que Martin travaille Ă l’usine , boit quelques biĂšres au bar l’amiral et bat ses enfants.
Il en a quatre . Bigoterie obligé Martha à souhaitait leur donner le prénom des quatre évangélistes : Marc, Mathieu, Luc et Jean. Jean est une fille appelé par son grand pÚre Mabel
Marc est battu par son pĂšre car il a une passion pour les livres. Mathieu ne pense qu’Ă la nature et parle aux arbres. Luc est dans son monde, enfant tragique recherchant des trĂ©sors et protĂ©geant les animaux. Mabel a la beautĂ© sauvage de la femme.
Ces quatre là forme une fratrie unie. Leur signe : quatre cordes accrochées sous le viaduc. Quatre cordes dans le vide.
Tout est en place pour le destin tragique de cette vallĂ©e entre soumission et promesse d’insoumission.
La violence et la cruautĂ© du tyran va rĂ©vĂ©ler chaque personnage. Que ce soit positivement ou nĂ©gativement. Chacun va devoir prendre position pour allĂ©ger cette soumission. Devient on insoumis seul ? A partir d’un Ă©lĂ©ment et d’un groupe ensuite, peut on envisager une solidaritĂ© et un peuple.
L’histoire est noire et pour retrouver la lumiĂšre le chemin est long.
C’est un livre magnĂ©tique et magnifique. La force de la langue de Franck Bouysse est Ă l’unisson de cet univers noir, Ă©lectrique et bĂ©tonnĂ©. C’est sauvage !
Et comme Marc, Mathieu,Luc et Mabel nous sommes Buveurs de Vent.
NĂ© d’aucune femme

Sur la desserte il y une bonne dizaine de livres, lus oĂč Ă lire. Dans ces livres depuis quelques mois, la couverture du roman NĂ© d’aucune femme de Franck Bouysse m’appelait rĂ©guliĂšrement. Mais je remettais la lecture prĂ©fĂ©rant tel autre roman.
Et puis en ce dĂ©but de 2020 l’appel du livre Ă Ă©tĂ© le bon.
Mais quel appel. Commencer 2020 sous les auspices de Franck Bouysse met le curseur trĂšs haut dans la qualitĂ© d’Ă©criture, l’Ă©motion, l’empathie, la noirceur, la lumiĂšre et les trĂšs-fond de l’Ăąme humaine.
Comment ne pas ĂȘtre bouleversĂ© par ce roman d’une rare sensibilitĂ©, vibrant, poignant, vous prenant dans ses filets et ne vous lĂąchant plus.
Nous sommes quelque part entre Limousin et Perigord dans la deuxiĂšme moitiĂ© du 19Ăšme siĂšcle. Gabriel est prĂȘtre et il a charge d’Ăąmes. Et l’une de ces Ăąmes, en confession, lui demande alors qu’il va bĂ©nir le corps d’une femme Ă l’asile de rĂ©cupĂ©rer des cahiers cachĂ©s sous sa robe.
Ce sont les cahiers de Rose. Cahiers dans lesquels Rose raconte son histoire afin que celle ci ne soit pas oubliée.
Rose est une jeune fille de 14 ans qui a été vendu par son pÚre paysan à un maßtre chùtelain.
Elle a Ă©tĂ© vendu car son pĂšre, sa mĂšre, ses trois soeurs n’arrivent pas Ă vivre du fruit du travail de la terre et de l’Ă©levage.
A partir de lĂ vont s’enchaĂźner de façon logique et dramatique une sĂ©rie d’Ă©vĂ©nements qui marqueront la vie de Rose.
C’est tragique, c’est romanesque. Par son Ă©criture magistrale Franck Bouysse nous emmĂšne au fond de l’Ăąme humaine mais aussi au fond des bois et des demeures. On entend les planchers craquer ainsi que les branches dans les bois . On distingue l’ombre de la bougie sur le mur de la chaumiĂšre. On ressent physiquement les cris, la violence ou encore la chaleur de la forge.
Et quelle écriture remarquable pour nous traduire les sentiments, les peurs, les émotions de Rose.
L’histoire que nous raconte Franck Bouysse dans NĂ© d’aucune femme est une histoire somme toute assez » classique » dans cette deuxiĂšme partie du 19eme siĂšcle. Qui n’a pas rencontrĂ© en faisant des recherches dans sa gĂ©nĂ©alogie des ascendants qui sont des enfants abandonnĂ©s, des bĂątards ou encore des enfants cachĂ©s. Qui n’a pas dans ses ancĂȘtres une bonne qui a fautĂ© avec un bourgeois ou un chĂątelain.
Cette rĂ©alitĂ©, Franck Bouysse l’a sacralisĂ©e au travers de Rose et des personnages de son roman. Nous sommes partie prenante des personnages et comment ne pas ĂȘtre Ă©mu par cette page oĂč il nous dĂ©crit le petit dĂ©jeuner des trois soeurs de Rose. Comment ne pas ĂȘtre Ă©mu devant la mĂšre de Rose , devant OnĂ©sime ou encore devant Edmond.
De la mĂȘme façon comment ne pas crier notre colĂšre au maĂźtre, Ă la vieille ou encore au docteur.
Et puis nous partirions bien chevaucher Ă travers bois sur la jument.
Le roman de Franck Bouysse est magistral car son rĂ©cit est complet. Tout est compris dans le roman, de l’indicible Ă l’espoir, du mal Ă l’amour, de la violence Ă la bienveillance.
D’une histoire commune Ă beaucoup de personnes au 19eme siĂšcle il en fait Une vie qui touche Ă l’universel.
Rose restera encore longtemps mes cÎtés.
» ma maniĂšre de le remercier pour tout ce que j’ai cru pas ĂȘtre la rĂ©alitĂ©, jusqu’Ă ce que je me retrouve dans le tourbillon, la seule rĂ©alitĂ©, celle d’hier, celle d’aujourd’hui, celle de demain, celle de toujours, celle de cette vie et celle d’aprĂšs cette vie » ( p.284 ).
Immense grandeur de l’Ăąme humaine.